De Julien Briguet – Vue de la City, la place financière suisse apparaît aujourd’hui assiégée. Qu’en est-il de la stratégie du Conseil fédéral fixée en 2009 dans le rapport Graber et dont le rapport d’évaluation annuel fut récemment publié ? Est-ce que la place financière suisse est prête à faire face aux bouleversements politiques, économiques et financiers du 21ème siècle?
Ce blog est le second d’une série visant à jeter un aperçu sur les stratégies de développement de la place financière suisse tout en gardant un œil sur son actualité particulièrement riche depuis 2008.
La pièce The Mousetrap est au théâtre populaire londonien ce que le nuage de lait est à la fin d’une après-midi perdue dans une Tea house londonienne. Un charme désuet de la vie britannique. L’originalité de cette pièce tient au fait que chaque spectateur est tenu de ne pas en révéler l’issue. Which guest killed the young Ms.Woopy? The bombastic Major, the late-comer Sergeant, the young minx or the old shrew? Secret tenu. A la sortie du théâtre l’autre soir, il m’est soudain apparu que cette excentricité britannique n’était au fond pas si britannique. Remplacez Mousetrap par secret bancaire et théâtre populaire londonien par monde politique suisse et vous obtenez à peu près ce même culte excentrique du silence et cette même volonté de conserver secret ce qui ne peut plus l’être. La récente conclusion d’accords d’imposition libératoire avec la Grande-Bretagne et l’Allemagne est un excellent symbole des défauts inhérents de cette approche suisse qui tend à confondre tactique avec stratégie.
Le Projet Rubik : une tactique à court terme
Les accords d’imposition libératoire visent à fournir une alternative à l’échange automatique d’information et constituer un rempart au secret bancaire. Cette alternative que la Suisse défend avec force intervient bien trop tard pour modifier de manière déterminante les positions de négociation entre la Suisse et l’Union Européenne ou au sein de l’OCDE.
Premièrement, le succès de cette politique repose sur un mouvement constant soit une extension des réseaux d’accords aux principaux pays européens afin de modifier durablement les rapports de force au sein du Conseil Européen ou de pouvoir espérer influencer les groupes de travail de l’OCDE. L’échec annoncé avec l’Allemagne, le refus catégorique de la France et l’attente de l’Italie ne permettent pas la mise en place de cette dynamique. Sans ces partenaires, les accords existants resteront toujours une solution à court terme. Deuxièmement, le principal intérêt de la Suisse de mener des négociations séparées est de pouvoir bénéficier d’accès plus important au marché des pays concernés du fait de la possibilité de ces pays de pouvoir accorder ces avantages sur une base bilatérale. Or la Commission européenne vient de lancer de récentes réformes visant à unifier le droit de l’accès au marché ayant pour conséquence de restreindre la marge de manœuvre de négociation bilatérale des Etats. Le cœur même du principe de négociation de la Suisse est atteint. Troisièmement, la Suisse considère que l’attrait de ce type d’accord repose largement sur le fait qu’ils permettent de combler les lacunes de la directive sur la fiscalité de l’épargne. Ce point est discutable dans la mesure où seuls quelques éléments particuliers sont résolus (p. ex. dividendes et gains en capital) et non l’ensemble des points problématiques (p. ex. trusts discrétionnaires, fondations etc.). Quatrièmement, cette solution présuppose une Union Européenne statique figée dans son intégration incomplète actuelle. Or la réforme de l’harmonisation de l’accès au marché nous démontre que l’UE avance très vite vers une intégration économique de plus en plus importante. Les déséquilibres macro-économiques existants (crise de l’Euro) sont un puissant moteur. Ainsi, la solution suisse ne représente pas une véritable alternative stratégique et reste une manœuvre tactique parvenant au mieux à retarder la fin inéluctable du secret bancaire. Il est d’autant plus frustrant de le constater lorsque l’on voit que la Suisse dispose grâce au Secrétariat pour les questions financières internationales (SIF) du cadre et des compétences idéales permettant de la formuler.
La réforme idéologique
Le secret bancaire est perçu comme une entité indivisible (art. 47 LB). Or il est nécessaire de développer une stratégie à géométrie variable prenant en compte trois éléments : 1) le secret bancaire est une question de degré aisément manipulable par des concessions habilement dissimulées dans des MoU ou des protocoles d’accord 2) il n’appelle pas une solution globale avec l’ensemble des partenaires de la Suisse – ces derniers doivent être divisés entre groupes au sein desquelles le secret bancaire s’applique à des degrés divers tout en respectant les standards minimaux de l’OCDE 3) les négociations sur le secret bancaire ne doivent pas être isolés d’autres négociations fiscales. Dans ce cadre, le Conseil fédéral doit préparer la fin du secret bancaire en testant la possibilité d’aménager un agenda de négociation confidentiel avec l’UE permettant de négocier une sortie progressive du secret bancaire à l’horizon 2017 ou au-delà contre l’accès au marché européen. Il est essentiel qu’il use de sa position dominante dans le système politique suisse pour déminer le débat public en prévision des oppositions qu’une telle démarche pourrait susciter lors de sa concrétisation (à suivre : Blog VI).
La véritable réforme stratégique : compétitivité et diversification
L’administration fédérale tend à fonctionner en silos ; elle envisage les réformes les unes après les autres sans perspective globale. La récente publication du rapport 2012 sur les questions financières est un curieux symbole du manque de programme législatif ambitieux et coordonné visant la compétitivité de la place financière : 2 pages seulement sur 25 sont consacrées à la compétitivité et près de 40% du rapport nous expose les négociations fiscales internationales. Il est nécessaire de se focaliser sur de nombreux secteurs de croissance potentiels qui restent ignorés ou peu encouragés tels par exemple les fonds d’investissement alternatif (private equity), les fonds de couverture (hedge funds) ou encore la finance islamique. La réforme en cours de la LPCC (loi sur les hedges funds) est un exemple de ce travail en silos par son ignorance complète de la compétitivité du secteur par rapport à ses concurrents directs (à suivre : Blog III, IV).
La réforme institutionnelle
Le cadre institutionnel existant ne permet pas une prise en compte optimale de l’ensemble des intérêts de la place financière suisse. Le SIF reste le cadre idéal de cette mise en œuvre malgré certaines faiblesses (à suivre : Blog V). Il manque un véritable dialogue avec la place financière (le Forum Place Financière reste largement inefficace) ainsi que d’expériences directes de la haute finance internationale à la direction du SIF. Cet exemple illustre plus largement le manque d’attractivité des positions de direction au sein de l’administration fédérale fonctionnant en vase clos et n’encourageant pas des passerelles entre le privé et le public, se privant ainsi de compétences essentielles.
Est-ce que la Suisse saura s’extirper de cette succession de tactiques pour poser les bases d’une alternative stratégique audacieuse ? Rien n’est moins sûr.
Julien Briguet est membre du comité du foraus. Il vit à Londres et étudie à la London School of Economics and Political Science (LSE).
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