Questions institutionelles: Ecoutons les bruissements de Bruxelles

Europa

Antoine Schnegg, Johan Rochel – foraus publie cette semaine la version française de son étude sur les questions institutionnelles entre l’UE et la Suisse. Sur le plan national et auprès des instances européennes, les lignes de front semblent se mouvoir.

Se dirige-t-on vers un été indien porté sur les questions institutionnelles entre la Suisse et l’Union européenne (UE)? Une saison qui n’existerait que dans les échanges épistolaires entre le Conseil fédéral et la Commission européenne? Répondant à l’ «invitation» de l’UE à présenter un modèle pour la poursuite des relations bilatérales, la présidente Widmer-Schlumpf a pris la plume en date du 15 juin pour faire part à l’UE de la solution du Conseil fédéral. Pour rappel, l’UE avait posé comme condition à la poursuite des relations bilatérales et sectorielles une solution satisfaisante aux problèmes suivants : l’adoption du nouveau droit européen dans des délais satisfaisants, une autorité indépendante veillant à une application correcte des traités entre la Suisse et l’UE, une interprétation homogène de l’acquis communautaire ainsi qu’un mécanisme de conciliation efficace entre les partis.

Dans cette missive rendue publique par la Weltwoche du 16 août, on découvre une présidente mettant l’accent sur l’ «objectif cardinal» des propositions formulées par le Conseil fédéral, à savoir l’homogénéité des règles communes. Le Conseil fédéral poursuit par ailleurs sa stratégie d’intégration des questions institutionnelles dans la négociation de l’accord sur l’électricité. Les premiers bruissements informels font état de réactions constructives du coté de Bruxelles.

Pas de victoire à l’horizon

La Suisse aurait toutefois tort de se reposer sur ses lauriers en se félicitant de ne pas avoir reçu de «non» catégorique. Le Conseil fédéral sait pertinemment que ses propositions ne convaincront pas entièrement Bruxelles et qu’il ne pourra éviter un débat interne sur ces délicates questions. Comme pour confirmer ces défis, une lettre datée du 12 septembre a été adressée par des membres du parlement européen au président de la commission José Manuel Barroso*. Commentant les propositions faites par le Conseil fédéral, les eurodéputés critiquent d’une part le manque de véritables mécanismes de conciliations juridiques et d’autre part l’approche sectorielle poursuivie par le Conseil fédéral. Selon eux, les propositions suisses n’apportent pas de solutions équitables et durables aux défis des relations entre la Suisse et l’UE.

Dans son étude sur les questions institutionnelles – dont la version française est publiée cette semaine – foraus plaide pour un débat national et propose un accord modèle tel que la Suisse pourrait le proposer à l’UE. A l’inverse du Conseil fédéral, la stratégie avancée par le foraus ne cherche pas à résoudre le débat sur les questions institutionnelles dans un accord sectoriel mais plutôt par le biais d’un accord général.

Dynamisme et double pilier

Cet accord modèle se base sur deux principes-clefs, à savoir l’adoption dynamique du droit européen et le système dit du double-pilier. Comme l’a justement remarqué le Conseil fédéral, l’adoption dynamique touche à une double demande de l’UE: l’homogénéité de l’interprétation et de l’application des règles communes ainsi que le temps d’adaptation de la législation suisse. Au contraire d’une fausse information persistante, l’Union n’a jamais exigé l’automaticité de l’adaptation, mais bien une relative diligence. En contrepartie, l’accord modèle prévoit que la Suisse obtiendrait un droit de co-décision permettant d’influer sur la législation européenne au plus haut niveau. Un modèle de co-décision comparable est déjà prévu dans l’accord sur l’espace économique européen ainsi que dans la convention de Schengen.

Le système du double-pilier renvoie aux mécanismes à mettre en place pour juger d’éventuels différends. La jurisprudence développée par la Cour de justice de l’UE serait intégrée autant que faire se peut par le Tribunal fédéral et les instances helvétiques. Une étroite collaboration entre les deux cours devrait être institutionnalisée le plus vite possible. Afin de garantir l’application correcte de l’ensemble des traités et de pourvoir à d’éventuels conflits, les « comités mixtes » existant actuellement devraient être suppléés d’une instance politique de haut niveau. La Suisse et l’UE ont un intérêt commun à développer la sécurité juridique au vue des relations économiques intenses entre les deux marchés.

Sur le front national, la tâche du Conseil fédéral ne s’annonce pas facile. La discussion se déroule sur fond de consensus national extrêmement fragile, pour ne pas dire proprement inexistant. Après la publication de la lettre de la présidente, Christoph Blocher a d’ailleurs annoncé la fondation d’un comité interpartis eurosceptique.

Pris entre le marteau bruxellois et l’enclume nationale, le Conseil fédéral a entamé des démarches constructives et difficiles. Plus que jamais, il se doit de tendre l’oreille aux bruissements venus de l’UE. C’est dans la multitude de ces murmures et leur emploi judicieux qu’une bonne partie de la solution réside. Sur le plan interne, il doit chercher par tous les moyens à éviter l’impression de négocier dans le dos du peuple. Une éventuelle votation populaire se gagne dès aujourd’hui.

* Extraits disponibles

Antoine Schnegg, co-auteur de l’étude du foraus sur les questions institutionnelles entre la Suisse et l’UE.

Johan Rochel, vice-président du foraus, Forum de politique étrangère.

foraus – Forum de politique étrangère, Les questions institutionnelles entre la Suisse et l’UE, modèle d’accord assorti de commentaires, version française, septembre 2012, disponible sur www.foraus.ch.

Le blog de foraus est un forum mis à disposition tant des membres de foraus que d’auteur-e-s invité-e-s. Les contributions publiées ici représentent les opinions de leurs auteur-e-s. Elles ne reflètent pas nécessairement l’avis de la rédaction ou de l’association foraus.