Brexit : un produit de la montée du racisme en Europe ?

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De nombreux commentateurs assurent que la sortie du Royaume-Uni n’est qu’un accident dû aux effets de la mondialisation sur certaines catégories sociales. Doit-on se satisfaire de ce genre d’explications ou, au contraire, considérer d’autres hypothèses moins reluisantes pour l’image de l’opinion publique européenne mais tout aussi parlantes ?

 

Plusieurs analyses et commentaires à chaud ont attribué le récent vote britannique en faveur d’une sortie de l’UE comme la revanche des « perdants de la mondialisation ». En soi, cette grille de lecture est très pertinente. En effet, de nombreuses études montrent que les couches sociales les plus fragilisées par la mondialisation sont souvent les plus eurosceptiques, voire les plus europhobes. La raison d’une telle défiance est à chercher dans la perception selon laquelle l’UE serait le « Cheval de Troie » de la mondialisation. D’ailleurs, la géographie du référendum du 23 juin tend à confirmer partiellement cette hypothèse.

Ceci étant dit, il existe aussi une autre catégorie d’explication, moins souvent utilisée mais tout aussi pertinente pour comprendre la montée de la défiance à l’égard de l’UE. Il s’agit de la montée du sentiment raciste en Europe et particulièrement en Angleterre.

A ce sujet, il convient de rappeler quelques faits. Tout d’abord, lors de la campagne référendaire, presque toutes les forces politiques pro-brexit ont excité l’opinion publique britannique en utilisant la question migratoire pour diaboliser Bruxelles. Par exemple, les affiches du parti europhobe UKIP ont mis en scène une inquiétante file de requérants d’asile en marche sur une paisible route de campagne européenne. En outre, de nombreux discours de Nigel Farage, le très médiatique leader du UKIP, ont vilipendé l’immigration « de masse » que subissait le Royaume-Uni, particulièrement celle issue d’Afrique et du Moyen-Orient. Par ailleurs, de nombreux sondages réalisés après le référendum du 23 juin semblent indiquer que les préoccupations migratoires (objectivement liées à l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE ou non) ont été centrales lors du choix de vote des Britanniques.

D’autre part, il convient de noter que la campagne référendaire a été émaillée de nombreux incidents à caractère raciste. Ces manifestations de violence, plutôt rares dans la vie politique britannique, ont culminé avec l’assassinat de la député travailliste Jo Cox. Connue pour ses positions progressistes, cette jeune députée a été froidement abattue par un ultra-nationaliste anglais qui aurait crié « Britain first ».

Dans les jours qui ont suivi le référendum, la police britannique s’est déclarée « alarmée » par l’explosion du nombre d’actes racistes dans le pays. Selon ses propres statistiques, ces actes haineux auraient quintuplé dans la semaine suivant le vote (par rapport à une semaine normale). En outre, lors de la première moitié du mois de juillet, près de 3000 « hate crimes » ont été rapporté à la police britannique soit beaucoup plus que sur la même période l’année dernière. D’après plusieurs observateurs, cette flambée de violence serait liée à la libération de la parole raciste qui aurait suivit l’issue (surprise) du référendum.

Désormais, les insultes du type « no more Polish vermin » ou encore « Shouldn’t you be on a plane back to Pakistan ? We voted you out » pleuvent souvent dans l’indifférence de la plupart des médias et de la classe politique anglaise. Ce phénomène a ceci d’intéressant qu’il semble sensiblement plus marqué dans les régions qui ont voté davantage en faveur du Brexit (du moins selon une enquête du très sérieux “The Independent” dans son édition du 31 juillet dernier).

En parallèle, une partie de la société civile anglaise ne reste pas les bras croisés. En effet, quelques citoyens britanniques ont mis sur pied un groupe facebook (appelé « worrying signs ») pour rendre compte du flot continuel d’attaques racistes sur le net. Bien que la plupart des témoignages se trouvant sur ce groupe – fort de 20’000 membres – ne puissent pas être authentifiés, ils n’en demeurent pas moins glaçants. Ceci est d’autant plus inquiétant qu’une récente étude réalisée dans le cadre du projet PRISM de l’UE montre que le racisme tend à se banaliser sur la toile. Selon cette même étude, nombre de britanniques (et d’européens) ne s’embarrasseraient plus de l’anonymat pour calomnier les étrangers sur les réseaux sociaux.

Ceci dit, cette libération de la parole raciste n’est pas l’apanage des petites gens. En effet, les discours politiques de l’establishment ont souvent utilisé les étrangers comme des boucs-émissaires. Depuis des années, de nombreux politiciens britanniques ont accusé les étrangers de “ne pas travailler” ou alors de “voler l’emploi des britanniques” (on appréciera au passage la cohérence de ces propos). A ce sujet, il faut se souvenir qu’en février dernier, l’argument du gouvernement britannique pour demander un « frein migratoire » à l’UE était que les étrangers installés au Royaume-Uni recevaient trop de prestations sociales par rapport à leur travail effectif.

Alors que les incidents racistes violents continuent de se propager en Angleterre, les décideurs politiques britanniques doivent désormais courir après le mauvais génie qu’elles ont volontairement libéré. Et, rien ne dit qu’elles puissent facilement le remettre dans sa lampe ou simplement qu’elle puisse maintenir le niveau des violences racistes à un niveau « acceptable ». Au contraire, Theresa May, la nouvelle Première Ministre, semble souvent valider les thèses xénophobes en soutenant une politique d’immigration encore plus restrictive et en s’attaquant notamment au principe du regroupement familial. En outre, cette dernière ne s’embarrasse pas de clichés pour décrire la réalité migratoire britannique qu’elle accuse d’être à la base d’un “dumping salarial généralisé” et d’une hausse du chômage (propos tenus lors de son discours à l’occasion d’une conférence du parti conservateur en octobre 2015). Une pareille posture politique fait craindre une exacerbation des tensions interethniques dans les prochains mois, alors même que le Royaume-Uni a déjà connu des émeutes violentes dans les quartiers à majorité habités par des étrangers ou par leurs descendants (été 2011).