Il est communément admis que la lente agonie de l’accord de Vienne résulte principalement de la décision unilatérale de l’administration Trump de dénoncer ledit accord et de rétablir les sanctions visant la République Islamique d’Iran. Pourtant les états européens, bien que répétant à qui veut l’entendre leur attachement à l’accord, peinent à matérialiser l’apport économique promis à Téhéran en échange de la limitation de son programme nucléaire et cela en raison de l’extraterritorialité des sanctions américaines. Ainsi l’Europe se trouve dans l’incapacité d’empêcher la lente érosion de cet accord qu’elle juge pourtant nécessaire à la stabilité régionale ainsi qu’à ses intérêts sécuritaires.
Le 8 mai 2018, le Président Trump annonce que les États-Unis se retirent du Plan d’action global commun (PAGC), communément appelé « accord de Vienne », et affiche ainsi sa volonté de rétablir les sanctions américaines relatives au programme nucléaire iranien. Les autres parties à l’accord – comprenant l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la Russie, la Chine ainsi que l’Union européenne et évidemment l’Iran – ont condamné cette sortie unilatérale à l’unanimité, questionnant même sa légalité. En effet, les états européens, et notamment les signataires de l’accord (France, Allemagne et Royaume-Uni, dit EU3), continuent, de manière unanime à considérer l’accord de Vienne comme un outil précieux pour contenir les ambitions nucléaires iraniennes et considèrent que le retrait américain le met en péril. Cette bonne volonté affichée contraste avec l’extrême prudence des acteurs économiques européens à s’engager dans des activités économiques avec l’Iran, ce qui représentait pourtant la contrepartie aux concessions iraniennes lors de la signature du PAGC en juillet 2015.
Dans ce contexte, si la plupart des limitations au commerce entre l’Europe et l’Iran ont été de jure abolies depuis la mise en œuvre de l’accord de Vienne, elles ont de facto resurgi depuis mai 2018 en raison de l’extraterritorialité des sanctions américaines. L’UE se trouve alors dans la position singulière d’imposer des sanctions malgré elle, et cela alors qu’elle professe publiquement que le non-respect de l’accord de Vienne contrevient à la stabilité de la région et à sa propre sécurité.
L’extraterritorialité des sanctions américaines.
L’opposition de l’Union européenne ne vient pas d’une aversion générale envers l’usage des sanctions internationales comme outils de politique étrangère. Bien au contraire, elle en est l’un des principaux utilisateurs et cela souvent aux côtés des Américains. Le malaise européen est provoqué par le caractère extraterritorial des sanctions américaines, conjugué à une divergence d’opinions entre l’administration Trump et les chancelleries européennes sur le dossier iranien.
Par extraterritorialité des sanctions américaines, on entend la caractéristique spécifique des instruments législatifs américains imposant des sanctions économiques envers un état, qui permet d’étendre lesdits instruments non seulement aux entreprises ou individus américains, ou basés aux États-Unis, mais aussi à tout acteur utilisant le dollar comme monnaie d’échange ou ayant une activité économique aux États-Unis.
Au vu du caractère incontournable du dollar et de l’importance du marché américain pour les acteurs économiques européens, de telles dispositions ont pour effet de rendre particulièrement vulnérables les entreprises européennes aux sanctions américaines. Selon une étude de KPMG datant de 2016, plus de 60 entreprises européennes, notamment du domaine bancaire, ont fait l’objet de pénalités financières pour non-respect de sanctions pour un total de plus 3 milliards d’euros d’amendes. Cela a pour effet de créer, même pour les entreprises non directement ciblées, un état permanent d’incertitude juridico-économique suffisante pour décourager les acteurs économiques européens de commercer avec les états ciblés. Ainsi, de simples pressions de Washington, non judiciarisées à ce stade-là, ont suffi à convaincre SWIFT, pierre angulaire du système de paiements interbancaires internationaux mais juridiquement entreprise de droit privée belge, d’exclure toutes transactions avec des banques iraniennes.
L’effet des sanctions américaines sur le commerce avec l’Iran.
Ironiquement, les flux commerciaux entre l’Iran et l’UE atteignent aujourd’hui des niveaux inférieurs à ceux qu’on pouvait observer avant la levée des sanctions européennes à partir de juillet 2015. Ainsi, les importations européennes de pétrole iranien, principale ressource financière de l’état perse, ont été totalement suspendues alors qu’aucun texte législatif en vigueur en Europe ne l’interdit. L’économie suisse a dû faire face aux mêmes pressions, de même que plusieurs organisations humanitaires, non gouvernementales ou interétatiques, basées sur le sol helvétique.
Source: Global Trade Tracker, Switzerland and EU28 as reporters
À l’heure des discours sur la souveraineté européenne, force est de constater que l’extraterritorialité des sanctions américaines contraint à la fois les décisions des agents économiques européens mais aussi les options de politique étrangère des états eux-mêmes. En effet, si la majorité des états européens continuent de penser que l’accord de Vienne reste nécessaire à la stabilité de la région et à la non-prolifération nucléaire, ils se trouve dans l’incapacité d’offrir les contreparties économiques promises. Si les désaccords transatlantiques semblent connaître un nouveau sommet sous la présidence Trump, la problématique des effets politiques et économiques de l’extraterritorialité des sanctions américaines n’est en rien un problème nouveau pour l’Europe, comme le rappellera le prochain blog de cette mini-série.
Source image : Image par Сергей Ремизов sur Pixabay.