Sanctionner malgré soi : aux origines de l’extraterritorialité des sanctions américaines

S’il est communément admis que la lente agonie de l’accord de Vienne résulte principalement de la décision unilatérale de l’administration Trump de dénoncer ledit accord et de rétablir les sanctions visant la République Islamique d’Iran, les états du Vieux Continent sont de facto largement forcés à appliquer les sanctions américaines comme expliqué dans le premier blog de cette mini-série. Ce deuxième blog rappelle que cette problématique de l’extraterritorialité des sanctions américaines n’est pas nouvelle.  

 

Aux origines de l’extraterritorialité des sanctions américaines. 

Il convient d’abord de rappeler que la problématique de l’extraterritorialité des sanctions américaines n’est ni nouvelle ni une spécificité de l’administration Trump. On peut retracer l’origine de cette extraterritorialité au moins jusqu’aux années nonante, lorsque deux lois visant Cuba ainsi que la Libye et l’Iran prévoyaient déjà des dispositions s’appliquant directement à des individus ou entreprises étrangères. Ayant conclu durant la guerre froide qu’en matière de diplomatie coercitive, l’enfer c’est les autres, notamment en raison du soutien économique de l’URSS à Cuba, au sortir de cette dernière les États-Unis sont bien décidés à imposer leurs sanctions au reste du monde. 

 

Ils le feront une première fois en 1996 au travers de deux trains de sanctions votés par le Congrès américain, l’un réactualisant l’embargo à l’encontre de Cuba, l’autre imposant des sanctions contre l’Iran et la Libye, accusés de soutien au terrorisme. Il s’agit d’une première tentative américaine d’imposer ses instruments de politiques étrangères à ses alliés outre-Atlantique. Cette démarche provoquera une première réaction et in fine une victoire à la Pyrrhus des Européens, qui négocieront une exception sous la forme d’un gentlemen’s agreement, qui s’avérera seulement temporaire. 

 

Une première réaction européenne et internationale

Au niveau global, la réaction à ce qui est largement perçu comme contraire au principe de souveraineté des états en droit international prend la forme d’une résolution à l’Assemblée générale des Nations Unies le 12 novembre 1996, exhortant les États-Unis à renoncer aux dispositions extraterritoriales de leurs nouveaux régimes de sanctions. Au niveau européen, le Conseil de l’UE adopte au même moment le règlement 2271/96 « portant protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant ».

Formellement, ce règlement est ambitieux : il interdit aux entreprises européennes de se plier aux sanctions américaines, leurs astreint à ignorer les décisions américaines découlant de leurs manquements et permet aux Européens de prendre des contre-mesures à l’encontre des acteurs économiques américains qui ont recours à l’extraterritorialité du droit américain pour attaquer des acteurs économiques européens.  En parallèle, l’UE, aux côtés du Canada, soumet le litige devant le mécanisme de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce. Finalement, la procédure n’ira pas à son terme et la Commission, malgré l’opposition de certains États membres, retire sa plainte en échange de la promesse du président Clinton de ne plus utiliser les mesures d’extraterritorialité des sanctions américaines et de neutraliser les procédures déjà en cours. Victoire en apparence donc, mais temporaire et basée uniquement sur un accord non contraignant avec une administration qui ne saurait rester éternellement au pouvoir. Les instruments législatifs extraterritoriaux américains, eux, restent en place, et l’Europe continue de se trouver à la merci d’une administration moins clémente en cas de divergence de leurs politiques de sanctions, comme le démontrera le dossier du nucléaire iranien.

 

Le retour des sanctions extraterritoriales américaines 

Déjà préalablement à la signature de l’accord de Vienne, l’Europe tente d’allier négociation et diplomatie coercitive, mais le Conseil de l’UE peine à trouver une position commune sur les mesures à adopter à l’encontre de l’Iran. C’est finalement la pression des mesures prises au même moment par les États-Unis, et notamment de leurs effets extraterritoriaux, qui finiront par forcer la main des récalcitrants. Bien que renforçant la position des pays européens directement impliqués dans le dossier iranien (notamment la France et le Royaume-Uni), qui étaient alors en faveur de telles mesures, le train de sanctions américaines va pousser le Conseil des affaires étrangères (CAE) de l’UE à délaisser sa préférence traditionnelle pour des mesures restrictives à l’encontre d’individus précis, dites « smart » ou « targeted » en faveur de mesures relevant de l’embargo économique indiscriminé. Les États membres votent un premier texte en octobre 2010 qui sera ensuite plusieurs fois renforcé au cours de l’année 2012, instituant un embargo sur l’importation de pétrole et gaz iranien, limitant les transactions financières et gelant les avoirs de la Banque Centrale iranienne en Europe. Le paradoxe étant que si les sanctions prises par l’administration Obama ont produit un effet économique direct relativement réduit, du fait de la préexistence d’autres sanctions unilatérales américaines, les sanctions prises par l’Union au début des années 2010, elles, ont fortement affecté le commerce extérieur, notamment d’hydrocarbures ainsi que l’économie iranienne dans son ensemble.

 

Du fait de la proximité des positions européennes et américaines sur le dossier du nucléaire iranien jusqu’en 2016, la juridiction extraterritoriale des sanctions américaines contre l’Iran paraissait alors supportable. En revanche, la réaction fut différente lors de la réimposition des sanctions américaines à l’encontre de l’Iran décidé unilatéralement par Trump en mai 2018 malgré les protestations des chancelleries européennes. Ces dernières n’ont cessé d’argumenter qu’une telle politique était préjudiciable à la stabilité régionale et directement contraire aux intérêts à la fois politiques, économiques et sécuritaires de l’Union. Cependant, plus d’un an après ces annonces, force est de constater l’échec d’une telle politique. C’est l’analyse qui sera faite dans un prochain blog. 

 

Source image : Image par Сергей Ремизов sur Pixabay.