Pour célébrer le 75ème anniversaire de l’ONU, le forausblog s’associe à l’Association Suisse-ONU (ASNU) et au cinfo en publiant une série d’articles sur les voix suisses du multilatéralisme. Via des interviews conduites par de jeunes auteurs, le forausblog entend ainsi donner la parole aux Suisses et Suissesses travaillant au contact du monde onusien
Entretien avec l’Ambassadeur Salman Bal, Directeur du Centre d’Accueil de la Genève Internationale (CAGI)
Ambassadeur Salman Bal, selon vous qu’est-ce que la diplomatie ?
La diplomatie est un moyen, non pas d’éviter les conflits car il y en aura toujours, mais de les résoudre pacifiquement par la discussion et le débat. L’action diplomatique se base sur les arguments, la culture, le respect, l’écoute attentive et la volonté de comprendre l’autre sans toutefois oublier sa propre position que l’on veut faire accepter. Je pense que la diplomatie est avant tout de la psychologie : il est crucial de saisir le rationnel de l’autre afin de formuler sa position et choisir le « bon timing » pour réussir. Je ne pense pas que la discipline se limite à une explication classique qu’on entend souvent et selon laquelle « un vrai diplomate, c’est quelqu’un qui te dit “va au diable” d’une telle façon que tu te réjouis d’arriver en enfer. »
« L’action diplomatique se base sur les arguments, la culture, le respect, l’écoute attentive ainsi que la volonté de comprendre l’autre sans toutefois oublier sa propre position que l’on veut faire accepter. »
Vous êtes polyglotte, d’origine kurde en Turquie. Comment la multiculturalité a-t-elle influencé votre travail de diplomate ?
[S.B.] Dès l’enfance, j’ai dû apprendre à saisir la logique de la personne avec laquelle je parlais, ce qui m’a rendu attentif à un élément clé : écouter pour comprendre la logique de l’autre – sans nécessairement l’accepter – avec pour but de mieux communiquer, de faire passer mon message et de réussir à faire accepter ma position. Ma multiculturalité est essentielle dans ce processus car elle m’aide à saisir les différentes sensibilités, en particulier culturelles, dont dépend la logique de tout un chacun. Cette faculté m’a été utile à l’étranger (Mexique, Soudan du Sud, etc.) et continue de me servir au quotidien à Genève. C’est une boîte à outils dans laquelle je peux piocher afin de m’adapter au mieux à la personne à laquelle je veux transmettre un message, en particulier aux diplomates des autres pays.
Pouvez-vous nous citer une expérience marquante de votre parcours ?
[S.B.] La liste est longue, je me contenterai donc avec une anecdote : lorsque j’étais en poste à l’Ambassade Suisse en Norvège (2007 – 2011), nous avons organisé, dans le cadre d’une visite d’État de la Présidente de la Confédération, un événement avec la participation d’Eliana Burki, une artiste suisse qui joue du cor des Alpes. Sauf que Mme Burki est arrivée à Oslo sans son instrument, égaré par la compagnie d’aviation. En cinq heures, nous avons dû mobiliser notre réseau en Norvège pour mettre la main sur un cor des Alpes de remplacement, finalement trouvé chez une famille d’expatriés. Et l’artiste a pu donner son concert devant la Présidente, la famille royale norvégienne ainsi que les propriétaires du cor des Alpes invités en guise de reconnaissance pour leur aide. Aussi cocasse qu’elle soit, cette anecdote est un bon résumé de ce qu’est la vie d’un diplomate : prévoir non seulement un plan B, mais également un plan C et D ; garder son sang-froid et la vue d’ensemble en cas de problème ; avoir un bon réseau et montrer sa gratitude lorsqu’on nous soutient. En présence de ces éléments, on trouve toujours une solution.
Quels sont les enjeux de votre travail ?
[S.B.] Les gens ont envie de venir travailler à Genève car c’est un pôle majeur de la gouvernance mondiale. Entre les murs de la ville s’est tissé, au fil des années, un véritable « hub » du multilatéralisme, avec une variété d’acteurs internationaux concentrés dans un espace géographique restreint. Face aux enjeux toujours plus complexes de notre monde, il est nécessaire que les décideurs s’appuient sur des avis multiples, que ce soit d’experts ou de professionnels réunis si possible au même endroit. C’est exactement ce que propose Genève, dont l’importance pour les relations internationales va probablement s’accroître encore dans le futur au vu de cette complexification des défis auxquels nous faisons face.
La ville possède toutefois quelques désavantages par rapport à d’autres villes onusiennes, comme son coût de la vie élevé, que nous devons compenser en proposant d’autres avantages comparatifs comme ceux offerts par le CAGI. Notre Centre d’accueil propose plusieurs services : l’aide au logement, l’organisation d’événements sociaux et culturels, la subvention des frais d’hôtel pour les délégués les plus démunis, ou encore le soutien aux organisations non gouvernementales qui sont déjà à Genève ou qui souhaitent s’y installer. Notre tâche consiste à aider les nouveaux arrivants à s’intégrer car s’ils se sentent chez eux dans la région Lémanique ils deviennent les meilleurs ambassadeurs de la Genève Internationale.
« [Au CAGI,] notre tâche consiste à aider les nouveaux arrivants à s’intégrer car s’ils se sentent chez eux dans la région Lémanique ils deviennent les meilleurs ambassadeurs de la Genève Internationale. »
Quel est LE plus grand enjeu diplomatique des années à venir ?
[S.B.] Depuis sa création, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale en 1945, l’ONU s’est ajustée à plusieurs reprises aux réalités géopolitiques qui sont en transformation continuelle. La gouvernance internationale est actuellement à nouveau en pleine transformation, ce qui soulève de multiples questions. Aujourd’hui, le monde est globalisé, l’évolution technologique n’a jamais été aussi rapide, des nouvelles puissances veulent s’imposer sur l’échiquier international, des acteurs non-étatiques comme les ONG, les GAFA, le secteur privé, le monde académique ont de plus en plus d’influence. Des questions telles que le changement climatique ou la gouvernance d’internet sont devenues prioritaires. Quand le monde change, les Nations Unies doivent changer avec lui. Ceux qui disent que l’ONU est en crise oublient ces aspects de l’histoire. Depuis sa création en 1945, l’ONU a traversé plusieurs phases d’adaptation – aujourd’hui elle est de nouveau dans une phase de pleine transformation. Ses États membres font partie de cette transformation et participent à l’adaptation de l’ONU aux nouvelles réalités et enjeux. Par contre, ceux qui n’y participent pas risquent de manquer le train.
« Depuis sa création en 1945, l’ONU a traversé plusieurs phases d’adaptation – aujourd’hui elle est de nouveau dans une phase de pleine transformation. »
Un conseil de lecture pour mieux comprendre la diplomatie ?
[S.B.] J’aime bien la lecture qui m’aide à comprendre les éléments sous-jacents aux défis actuels. A ce titre, deux livres intéressants que j’ai lus récemment sont « Hillbilly Elegy: A Memoir of a Family and Culture in Crisis », de J.D. Vance et le livre «Identity: The Demand for Dignity and the Politics of Resentment’ de Francis Fukuyama.
https://www.cagi.ch/fr/accueil/contact.php