En plein cœur de l’automne électoral 2023, nous lançons une série de briefings de politique étrangère concis. Dans ces 14 briefings thématiques, 23 auteur·e·s analysent les défis de politique étrangère qui ont occupé les parlementaires ces quatre dernières années et qui détermineront l’agenda politique dans un avenir proche ou moyen. Jusqu’aux élections nationales du 22 octobre, nous publions également les briefings de politique étrangère sous forme de série de blogs.
Executive Summary
– Suite à l’abandon des négociations concernant l’accord-cadre avec l’UE, les enjeux relatifs aux flux transfrontaliers de personnes et de marchandises risquent d’acquérir une dimension fédérale au cours de la prochaine législature.
– Les plans de relance de l’UE (notamment NextGenerationEU) favoriseront les investissements de nos voisins dans la route et le rail. Parallèlement, la politique de l’UE visant à réaliser un espace ferroviaire unique continuera à confronter le marché suisse à la libéralisation progressive du secteur ferroviaire européen.
– La coordination internationale des questions environnementales et financières liées à l’électrification du trafic routier, représentera un défi de taille pour la politique suisse des transports terrestres.
Rétrospective
La politique des transports est une partie intégrante de la politique étrangère. Le fonctionnement du marché ferroviaire et le financement des infrastructures et des lignes transfrontalières ont une influence directe sur la qualité de la connexion du réseau de transports terrestres suisse avec l’étranger et nos relations avec nos voisins.
Dans ce domaine, une constante dans nos relations récentes avec l’Union européenne (UE) s’est avérée être l’ouverture du marché ferroviaire suisse aux compagnies étrangères, notamment à travers l’adoption partielle du 4ème paquet ferroviaire de l’UE depuis 2013. Comparé au marché européen, le marché suisse a toutefois conservé un marché public et opère par un système d’accords ponctuels avec les compagnies étrangères. En parallèle, l’ouverture du tunnel de base du Ceneri en 2020 a marqué l’aboutissement de la NLFA (Nouvelle ligne ferroviaire à travers les alpes) et a renforcé la centralité de la Suisse dans le réseau ferré européen. Le développement des réseaux régionaux transfrontaliers a également connu des développements importants, notamment avec la mise en service complète du Léman Express en 2019 ou l’amélioration de la desserte transfrontalière Kandersteg-Domodossola.
Au niveau parlementaire, plusieurs réalisations marquantes dans le domaine des transports ont eu lieu au cours de la dernière législature. La loi sur le transport des voyageurs a été modifiée fin 2022 (21.039). À la lumière de plusieurs scandales (notamment celui de CarPostal en février 2018), cette révision a modernisé la gestion des bénéfices des entreprises disposant de subventions. Toutefois, le parlement n’a pas trouvé de consensus sur une réforme plus fondamentale du financement des transports terrestres, notamment à cause du refus du peuple d’augmenter la redevance pour les autoroutes (vignette) en 2013. Plus récemment, le Conseil national a tranché en faveur de nouveaux investissements dans les infrastructures routières et ferroviaires (23.032). La commission des transports et des télécommunications du Conseil aux États a suivi ces décisions cet été. Un paquet sur les mesures financières pour le transport ferroviaire 2025-2028 a été mis en consultation par le Conseil fédéral.
Perspectives
La mobilité des travailleur·euse·s transfrontaliers, une problématique aujourd’hui essentiellement cantonale, risque d’acquérir progressivement une dimension fédérale, notamment au niveau de son financement. L’arrêt programmé de la liaison directe Bienne-Belfort en 2025 démontre à cet égard les limites des négociations inter-régionales. La négociation d’un nouvel accord terrestre semble bénéficier du soutien de plusieurs cantons, notamment Genève, Vaud et Neuchâtel (comme exprimé dans le cadre de la consultation concernant la mise en œuvre du volet technique du 4e paquet ferroviaire de l’UE; 23.024). En conséquence, c’est le niveau fédéral qui semble être en position de donner des impulsions en matière de politique des transports terrestres au cours de la prochaine législature. Un élément important à prendre en compte sera le plan de relance européen « NextGenerationEU » – et ses itérations nationales – qui pourraient donner à nos voisins de nouvelles ressources pour co-financer des infrastructures en matière de transports. Le prochain parlement devra donc composer avec ce facteur dans le contexte des projets-cadres existants afin d’atteindre les objectifs de la stratégie Rail 2050.
Concernant l’accès et la connexion de la Suisse au réseau de transport ferroviaire européen, un vrai dilemme existe entre l’utilisation du réseau ferroviaire pour les lignes haute vitesse sur territoire suisse et la desserte régionale suisse. S’ajoute à cette problématique la demande croissante pour une augmentation des capacités des trains de nuit. Ces variables pourraient impacter directement le bon fonctionnement de la desserte transfrontalière des passager·ère·s par le rail, déjà actuellement soumise à de fortes pressions quant au cadencement et à l’efficacité de la coopération transfrontalière. La difficulté d’obtenir des sillons d’exploitation ferroviaire pour les compagnies étrangères et la coordination très partielle des programmes suisses et européens du report du fret de la route vers le rail ont modéré le degré d’intégration européenne du système ferroviaire suisse, ce qui pourrait devenir une source de tensions avec nos partenaires européens.
Les négociations relatives à une reconnaissance mutuelle des standards entre la Suisse et l’Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer n’ont pas abouties au cours de la législature 2019-2023. A la place, une prolongation provisoire d’un an des homologations de véhicules et des certifications de sécurité pour le transport transfrontalier jusqu’à la fin 2022 a été conclue. Vu la place grandissante qu’occupe cette agence dans la planification de l’espace ferroviaire unique européen, la politique suisse des transports devra continuer à composer avec ses décisions à l’avenir.
Restent plusieurs défis à forte composante internationale. La baisse des revenus de la taxe sur les carburants, en parallèle de l’électrification du parc automobile, appelle à davantage d’efforts quant à la pérennisation du financement du rail et des projets transfrontaliers. Dans ce contexte, une véritable concurrence entre le financement des aménagements domestiques et transfrontaliers pourrait voir le jour. Ces différents éléments détermineront également dans quelle mesure le parlement souhaitera aligner la politique suisse des transports avec les impulsions européennes en matière environnementale, illustrée notamment par la volonté de l’UE d’interdire les voitures émettant du CO2 à partir de 2035.