Négociation avec l’UE : les trois défis du Conseil fédéral
Vendredi dernier, le Conseil fédéral a conclu la consultation sur le mandat de négociation avec l’UE. Le bilan positif de cette consultation contraste avec celui, plus mitigé, des exercices de 2013 et 2019 sur l’accord institutionnel.
Cette réussite a notamment été rendue possible par des innovations procédurales. Une structure de négociation à deux niveaux (intérieur et extérieur), une intense coordination interdépartementale (six départements sur sept impliqués) ainsi qu’une stratégie de transparence semblent avoir porté leurs fruits : l’implication et la consultation, tout au long du processus, des acteurs intérieurs du dossier européen leur ont permis de développer une compréhension fine des enjeux et de s’approprier plus facilement le résultat. Le degré de précision et d’anticipation des cantons dans leurs prises de position de mars 2023 et février 2024 en sont les exemples les plus remarquables.
Trois défis attendent désormais le Conseil fédéral pour convaincre une majorité au Parlement et dans les urnes.
Un premier défi sera de satisfaire un maximum de parties prenantes sur le plan intérieur et répondre au cahier de doléances issu de la consultation. De l’avis général, les dossiers les plus épineux sont la protection salariale et l’électricité. Des exceptions supplémentaires seront demandées à l’UE, notamment sur les frais de travail dans le premier dossier et sur des aides d’Etat dans le second.
Pour obtenir ces concessions et donc relever ce premier défi, le Conseil fédéral doit trouver des contreparties à offrir à l’UE sans compromettre les chances de succès de son paquet. Il s’agit de son deuxième défi. Or, les marges de manœuvre paraissent faibles. Inclure l’accord de libre-échange dans le paquet ? L’union sacrée des cantons vole en éclat. Transformer l’accord de coopération sur la santé en accord commercial ? Des pans influents de l’économie se désolidarisent. Même augmenter la contribution suisse pour la cohésion, longtemps un levier de négociation privilégié, semble délicat en cette période de vaches maigres. A cet égard, il est dommage que le mandat adopté vendredi n’offre pas davantage de flexibilité pour identifier des contreparties pour l’UE dans d’autres domaines, par exemple l’inclusion des accords Schengen/Dublin dans le mécanisme de règlement des différends ou des engagements d’achat d’armement européen pour le matériel de l’armée.
Troisièmement, le succès du paquet – d’une grande complexité – dépend d’une vaste campagne d’information. Même le meilleur des résultats de négociation possibles ne saurait en effet garantir une majorité confortable dans les urnes, face à l’opposition catégorique de l’UDC et aux exigences maximalistes des syndicats, gonflés à bloc par leur victoire pour une 13e rente AVS. La campagne sera âpre ; le résultat, serré. C’est pourquoi une mobilisation intensive et une communication concertée du Conseil fédéral sont essentielles. Cette communication aurait beaucoup à gagner de narratifs axés sur les avantages, alors que le discours actuel est dominé par les risques. Ces dernières semaines, de tels narratifs ont gagné en importance dans la communication orale du DFAE, même s’ils sont curieusement encore largement absents de sa communication écrite. L’opportunité stratégique d’un rapprochement avec l’UE dans un contexte de bouleversements géopolitiques, ou le fait que le mécanisme de règlement des différends est aussi dans l’intérêt de la Suisse, constituent deux exemples de messages sous-exploités par le Conseil fédéral. Des neutralisations de fausses allégations sont aussi cruciales (“non, un accord de libre-échange avec l’Inde ne réduit pas l’urgence d’une solution avec l’UE”).
Pour qu’un front gouvernemental uni en faveur du paquet soit réalisable, un pacte de “non-agression politique mutuelle” peut être conclu par les sept sages sur ce dossier. Le calendrier politique offre à cet effet une fenêtre de tir de trois ans avant la prochaine année électorale.
Ces trois défis sont considérables, mais pas insurmontables. L’approbation des Bilatérales I en 2000 illustre comment un engagement assidu du gouvernement et des compromis difficiles, autant sur le plan extérieur qu’intérieur, peuvent susciter une majorité de la population (et des cantons). De quoi inspirer le Conseil fédéral pour enfin conclure une odyssée politique vieille de 15 ans.
Cet article a originellement été publié comme opinion dans le Temps.