La justice internationale face au génocide, cette notion protéiforme

Les 26 janvier, 28 mars et 24 mai 2024, la Cour internationale de Justice (CIJ) a rendu des
ordonnances de mesures conservatoires dans l’affaire Afrique du Sud c. Israël ordonnant à l’État d’Israël de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission d’actes de génocide à l’encontre des Palestiniens de Gaza. Si ces décisions ont suscité une grande attention médiatique, et ont fait ressurgir la notion de génocide dans le débat public, la CIJ est également saisie de requêtes sur la base de la Convention sur le génocide dans les contextes du Myanmar et de l’Ukraine. Ces affaires mettent en lumière la complexité de la notion de génocide en droit international et invitent à considérer d’autres voies que la Cour pour juger le crime de génocide.

 

Génocide devant la CIJ : un chemin semé d’embûches
La Cour n’a pour l’heure jamais déterminé qu’un État était responsable de commission de génocide sur la base de la Convention sur le génocide. La tâche qui l’attend dans les affaires précitées est ardue. La complexité découle en grande partie du fait qu’une seule définition du génocide, ancrée à l’article II de la Convention, est utilisée tant pour la responsabilité pénale individuelle pour crime de génocide et que pour la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite. Pour retenir un génocide, il faut qu’une série de comportements, tels que le meurtre, soient commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel. Or la notion caractéristique du génocide, soit l’intention génocidaire est non seulement difficile à prouver, mais elle crée une certaine confusion pour son application au niveau de la responsabilité étatique.
Puisqu’au niveau de l’État il n’est pas possible de démontrer que celui-ci nourrit une intention
(psychologique) génocidaire comme il serait démontré à l’égard des individus lors d’un procès pénal, d’autres critères doivent être établis. L’intention spéciale sera plutôt dégagée de l’existence – nécessaire – d’une politique étatique, soit génocidaire en tant que telle ou, à tout le moins, mettant en danger la survie du groupe protégé, et donc d’un schéma de violence généralisée et systématique à l’encontre de ce groupe.

Toutefois, le standard de la preuve à apporter pour prouver un génocide au stade du jugement est, contrairement au stade des mesures provisoires, très élevé – voire insurmontable. L’intention génocidaire doit être « la seule conclusion qui puisse raisonnablement se déduire des actes en cause » (Croatie c. Serbie (2015), par. 148). Dès lors, dans un contexte de guerre ou de violences armées, cette intention est particulièrement difficile à démontrer : les meurtres de civils peuvent être retenus comme étant comme une conséquence de la guerre plutôt que celle d’une intention génocidaire.

 

L’action pénale reste pertinente…
La conclusion qu’un État n’a pas commis un génocide n’exclut toutefois pas l’action pénale pour crime de génocide. En effet, même si l’on parvient à la conclusion que l’État n’a pas agi selon une politique génocidaire, cela n’exclut pas que des individus peuvent commettre des actes avec une intention génocidaire.
Au niveau pénal, la commission d’un seul acte, un meurtre par exemple, est passible d’être qualifié de crime de génocide, si, en plus d’être perpétré avec l’intention spéciale de détruire le groupe, il survient dans le cadre d’une série manifeste de comportements analogues ou pouvait en lui-même entraîner une telle destruction. De plus, l’existence d’une politique étatique n’est pas un élément constitutif du crime de génocide en tant que crime individuel, mais seulement un élément probatoire permettant de déduire l’intention génocidaire d’un individu. Ainsi, il est envisageable que la CIJ parvienne à la conclusion que ni le Myanmar, ni Israël ne sont responsables d’avoir commis un génocide, mais que des individus soient tout de même jugés par des tribunaux pénaux pour la commission du crime génocide dans ces contextes.
Le standard de preuve demeurerait néanmoins élevé, et les chances de condamnation faibles. C’est sans doute l’une des raisons qui ont amené le Procureur de la Cour pénale internationale à requérir des mandats d’arrêt contre les dirigeants du Hamas et d’Israël pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, et non pour génocide.

 

… aussi au niveau national
Alors que la lenteur ou l’efficacité limitée des tribunaux internationaux sont souvent décriées, un instrument est souvent oublié lorsqu’on parle de crimes relevant du droit international : la compétence universelle. En vertu de la Convention sur le génocide, tous les États parties ont l’obligation de prévenir et punir le crime de génocide. Bien que la Convention n’impose pas aux États parties d’appliquer le principe d’universalité dans leur répression du crime de génocide, la Suisse a choisi de le faire lorsqu’elle a introduit le crime de génocide dans son code pénal (art. 264 CP). Dès lors, si les autres conditions de la répression sont remplies, notamment si l’accusé se trouve en Suisse et qu’il ne peut être extradé, les autorités de poursuite pénale pourraient faire usage de cette possibilité. Cette voie n’est néanmoins pas sans risques diplomatiques, comme en témoignent les remontrances de l’Algérie lors de l’annonce faite en août 2023 par le Ministère public de la Confédération du renvoi en jugement du désormais défunt Khaled Nezzar, ex-ministre algérien de la Défense, pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

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