Plongée en eau trouble : enquête sur les mercenaires russes du Groupe Wagner

 

 

Peace & security

Bien qu’officiellement interdites, les sociétés militaires privées (SMP) se sentent pousser des ailes en Russie. Véritable bras droit du Kremlin, l’une d’entre elles a particulièrement fait parler d’elle ces dernières années. De la Syrie à la Centrafrique en passant par la Libye et le Venezuela, coup de projecteur sur le Groupe Wagner et ses mercenaires semeurs de trouble.

Les sociétés militaires privées sont interdites en Russie, mais cela n’a pas empêché la création du Groupe Wagner en 2014. À sa tête, le lieutenant-colonel Dimitri Outkine, néonazi notoire et ancien officier de la direction générale des renseignements (GRU) de l’armée russe. Son bailleur de fonds présumé est l’oligarque Evgueni Prigojine, sanctionné par les États-Unis car accusé d’être à l’origine de « l’usine à troll » qui aurait semé la confusion sur les réseaux sociaux américains pendant l’élection de Trump en 2016. Les deux hommes sont réputés proches de Vladimir Poutine, ce qui explique pourquoi la société a perduré malgré son caractère illégal.

Depuis sa création, Wagner a gagné en importance devenant un élément incontournable de la stratégie internationale russe de ces dernières années. Les mercenaires ont d’abord été déployés en Crimée et dans le Donbass, puis, suite au règlement rapide du premier conflit et au piétinement du second, envoyés en Syrie aux côtés des troupes de Bachar el-Assad. Sur ce territoire déchiré par la guerre civile, le groupe connaît son apogée, en employant début 2018 près de 2500 hommes (selon les estimations les plus élevées), qui se battent à la fois contre les rebelles syriens et les combattants de l’État islamique. Un couac va toutefois freiner la progression de Wagner et sérieusement entamer sa crédibilité. Le 7 février 2018, environ 600 mercenaires s’attaquent aux positions des Forces Démocratiques Syriennes (FDS) opposées au gouvernement Assad et postées à Deir ez-Zor, l’un des centres névralgiques du conflit. Ceux qui ont ordonné l’attaque l’ignoraient probablement, mais parmi les miliciens des FDS se trouvaient des conseillers américains membre de la coalition contre Daesh, qui demandent à leur commandement un soutien aérien. Avions, hélicoptères et drones de combat américain interviennent alors et causent de lourds dégâts dans les rangs de Wagner, en tuant ou en blessant entre 300 et 600 mercenaires russes (estimation imprécise car Wagner n’annonce pas les décès de ses soldats). Suite au fiasco, il semblerait que Poutine ait voulu placer la société en retrait afin d’éviter un nouvel incident similaire. Les mercenaires se voient confier principalement des rôles de formation ou de défense d’infrastructures, notamment pétrolières. Ils sont repositionnés dans d’autres pays où l’influence russe est forte, comme en Centrafrique pour la formation de soldats ou au Venezuela pour la protection de Maduro. Ils auraient également été repérés au Soudan, au Mali, à Madagascar et au Mozambique. Plus récemment, les mercenaires Wagner sont réapparus en Libye dans un rôle plus agressif, où 300 hommes auraient participé à la bataille de Tripoli dans le camp du général Haftar.

Si Wagner est devenu aussi important, c’est parce que son action bénéficie en premier lieu au Kremlin. Premièrement car la société intervient en échange de concessions pétrolières ou de minerais garanties par les gouvernements qui la sollicitent, ce qui permet à la Russie d’étendre son contrôle sur les ressources du globe. Souvent exploités par Gazprom, ces gisements fournissent un revenu considérable aussi bien à Wagner qu’à l’État russe qui contrôle le géant gazier. Ensuite, parce que l’utilisation de mercenaires qui n’ont pas d’existence légale dans le pays crée une ambiguïté qui profite à Moscou. En Syrie par exemple, les mercenaires soutenus par l’aviation russe ont eu un réel impact sur le conflit, infléchissant le sort de batailles décisives comme celle de Palmyre. Collaborant étroitement avec le ministère de la Défense de Russie, ils ont été chargés d’épauler l’armée syrienne que le Kremlin jugeait peu fiable sur le terrain. Le personnel de Wagner reste toutefois clairement distinct de l’armée russe, ce qui a pour avantage de limiter les conséquences diplomatiques d’un affrontement avec une puissance partie au conflit qui aurait des intérêts divergents. Le meilleur exemple en la matière est l’incident de Deir ez-Zor précédemment mentionné qui, même s’il constitue de fait le premier affrontement entre Russes et Américains depuis la fin de la guerre du Vietnam, n’a généré aucune retombée fâcheuse et n’a été que peu médiatisé. Wagner permet donc à Poutine d’avoir des soldats sur le terrain sans pour autant que leurs actions ne soient attribuées ni à la Russie ni au gouvernement employant la société, car celle-ci n’a pas d’existence légale.

En Libye, l’utilisation de mercenaires semble particulièrement utile à la Russie, qui soutient le général putschiste Haftar contre le gouvernement reconnu par l’ONU, sans doute en violation de l’embargo sur les armes imposé par le Conseil de Sécurité auquel Moscou ne s’est pas opposé. L’utilisation des hommes de Wagner, qui évoluent dans une zone grise non réglementée, permet aux Russes d’intervenir sur le terrain tout en soutenant officiellement une désescalade. De plus, cela leur garantit une marge de manœuvre au cas où des mercenaires se trouveraient opposés à des soldats turcs, dont le pays soutient le régime légitime. Le Groupe Wagner est donc crucial pour la stratégie russe puisqu’il permet de mettre en place ce double jeu, avec à la clé le contrôle d’un territoire possédant des ressources pétrolières massives et se situant aux portes de l’Europe. Tant que lumière ne sera pas faite sur les liens entre Moscou et Wagner, la Russie continuera d’évoluer dans cette zone grise qui lui permet d’intervenir sur le terrain en toute impunité. Une véritable investigation à ce sujet devient plus que jamais nécessaire. 

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