De Johan Rochel – Le nouveau ministre entame cette semaine ses travaux aux affaires étrangères. Après une décennie marquée du sceau de Micheline Calmy-Rey, foraus saisit l’occasion d’une lettre ouverte au Neuchâtelois.
Cher M. le Ministre des Affaires étrangères,
Reprendre un département, c’est s’inscrire dans une longue lignée de pratiques, d’idées, d’hommes et de femmes qui ont fait ce pays. Au moment de vous souhaiter nos meilleurs vœux de réussite pour votre nouvelle tâche, il importe de se pencher sur cet héritage symbolique et mémoriel à même d’éclairer les défis de demain. Le format de cette lettre ouverte se veut déjà un pas dans cette direction, reprenant à notre compte l’appel de Micheline Calmy-Rey pour plus de diplomatie publique.
Le dernier membre du PLR à occuper votre siège fut, comme vous, un Neuchâtelois. La figure haute dans une Europe bouleversée, Max Petitpierre dirigea les affaires étrangères entre 1945 et 1961 dans un département qu’on appelait encore « département politique » ! En cette période houleuse pour une Suisse restée en dehors des barbaries de la guerre, il forgea les concepts clefs de notre politique extérieure : « neutralité et solidarité ». Une Suisse neutre dans toutes les affaires militaires, économiques et politiques ; une Suisse solidaire pour participer à l’éclosion d’un monde meilleur. Pour les cyniques, la solidarité comme le prix politique de la neutralité ; pour les réalistes, un excellent moyen de parvenir à assurer nos intérêts dans le monde de la guerre froide.
La Suisse n’a pas dépassé l’horizon intellectuel de ce duo programmatique et plusieurs de vos défis principaux sont encore marqués très profondément par ce mot d’ordre. Une première catégorie de défis s’apparente à une redéfinition, lente mais néanmoins marquée, du concept même de neutralité comme clef de notre rapport au monde. On aurait tort de se réfugier derrière une approbation de façade : si l’immense majorité des Suisses souhaite conserver la neutralité, son exacte définition et son prix politique doivent être débattus de manière plus transparente. A ce titre, il faut souligner les différences entre le monde de Max Petitpierre et le nôtre. La montée en puissance d’organisations internationales véritablement globales – à l’image des Nations-Unies, du Tribunal pénal international ou de l’OMC – et d’organisations régionales d’une importance vitale pour la Suisse – l’Union Européenne – a provoqué des changements profonds pour un pays qui entendait assurer sa prospérité dans une splendide isolation. Certains comportements « neutres » ne sont aujourd’hui plus acceptés – le survol de notre pays par les avions de la coalition en Lybie l’a montré. Développerez-vous plus avant le concept de « neutralité active » de votre prédécesseuse Micheline Calmy-Rey ou tenterez-vous de marquer notre rapport au monde d’un sceau nouveau? Plus que jamais, les mots et les concepts revêtent une importance centrale pour penser la Suisse de demain et son rapport aux autres.
Une deuxième catégorie de défis relève elle aussi de l’imprégnation de la formule de Petitpierre : l’organisation interne de notre rapport à l’étranger. L’organisation des départements fédéraux et la structure de l’administration reflètent les vieilles lignes de démarcation. Si Micheline Calmy-Rey a ramené le Bureau de l’intégration au sein du DFAE, les solutions de coordination ad hoc ne permettent pas de rendre justice à la nouvelle donné de politique internationale. Cette problématique n’est-elle pas brillamment illustrée par l’agrandissement constant de la Division Politique 5 au sein du DFAE, unité en charge des questions de coordination ? Que penser du nouveau secrétariat d’Etat aux questions financières internationales ? Alors que vous déposiez votre première motion sur la réforme du Conseil fédéral en tant que Conseiller national en 2006, pourquoi ne pas poursuivre une réflexion de fond sur l’importance transversale qu’ont acquis les questions internationales ? Notre rapport au monde ne peut aujourd’hui être enfermé dans un département – il inonde l’ensemble des actions et décisions de notre pays. Osons penser ce que pourrait être une véritable intégration des questions internationales.
La troisième catégorie de défis auxquels vous devrez faire face se décline également sur le thème neutralité et solidarité : l’Europe ! Alors qu’un nouvel ambassadeur européen prend ses quartiers à Berne, il importe plus que jamais de maintenir la question européenne sur notre agenda politique interne. Nul doute que vous saurez mobiliser votre style politique inclusif à cette fin. Gardons nous toutefois de jouer le jeu des nombreux et puissants acteurs politiques qui cherchent à tout prix à maintenir La question européenne – à savoir l’accession – pour seule question politique. C’est justement le rôle des autorités fédérales, en collaboration avec la société civile, l’académie et l’économie, de tenter de morceler cette question finalement stérile en questions moins marquées émotionnellement mais tout autant importantes pour notre avenir. Ce processus doit s’accompagner d’une réflexion permanente sur le prix économique et politique de notre stratégie européenne.
Cher M. le Ministre, l’année 2012 sera riche en évènements symboliques sur la place de la Suisse dans le monde. Est-il temps de créer de nouvelles bases pour notre rapport au monde ? A l’image de notre première décennie à l’ONU, la nouvelle législature pourrait être l’occasion de dessiner une Suisse engagée, fière et responsable. En s’engageant pour une politique étrangère constructive et porteuse pour l’avenir, foraus – Forum de politique étrangère se réjouit d’être l’un de vos partenaires dans cette noble tâche.
Pour le foraus – Forum de politique étrangère,
Johan Rochel, vice-président
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