De Julien Briguet – Vue de la City, la place financière suisse apparaît aujourd’hui assiégée. Qu’en est-il de la stratégie du Conseil fédéral fixée en 2009 dans le rapport Graber et dont le rapport d’évaluation annuel fut récemment publié ? Est-ce que la place financière suisse est prête à faire face aux bouleversements politiques, économiques et financiers du 21ème siècle ?
La finance islamique est une finance menée conformément aux règles du Coran et de la législation qui l’interprète. Elle se distingue par des principes de base spécifiques, tels que le refus de lever des intérêts, la sélection de produits financiers sur la base de critères précis ou encore l’utilisation de produits financiers spécifiques tels Sukuk ou Ijaria. Le gouvernement britannique sous l’ère du New Labour s’était montré extrêmement offensif pour faire de Londres la place d’accueil privilégiée de la finance islamique en dehors du Moyen-Orient – ardeurs quelque peu freinée par la nouvelle coalition à dominante conservateur. Londres se profile néanmoins comme la capitale de la finance islamique hors du Moyen-Orient. En comparaison la Suisse reste largement en deçà de l’ambitieuse politique de réforme britannique. Pourtant, la place financière suisse possède toutes les qualités requises pour devenir un hub de la finance islamique ou du moins un véritable cluster de compétences.
Les avantages suisses
La Suisse dispose tout d’abord de nombreux atouts : des avoirs sous gestion concernés avoisinants les 200 milliards de francs suisse ; de nombreuses banques entre Genève et Zürich détenues par des fonds souverains du Moyen-Orient ou de riches familles du Liban et d’Arabie Saoudite ; enfin, une proximité de fuseau horaire avec le Moyen-Orient. A ce titre, Genève ou Zürich pourraient devenir des niches de choix pour la finance islamique.
La finance islamique est un secteur d’avenir. Premièrement, elle est particulièrement prometteuse. Sa croissance est constante et rapide et ses performances restent largement supérieures au marché (voir ci-dessous). Deuxièmement, la puissance financière des fonds souverains du Moyen-Orient n’a cessé de s’accroître à la suite de la hausse du prix du brut et d’une stratégie d’investissements à long terme développée par de nombreux Etats de la péninsule arabique. Troisièmement, elle apparaît aujourd’hui séduisante pour de nombreux investisseurs. En effet, cette dimension éthique plus ou moins présente contribue à rendre le profil de risques des produits de la finance islamique plus lisible et attrayant – fait particulièrement important pour de nombreux investisseurs qui depuis 2008 doivent faire face à une succession de crises financières et d’instabilités systémiques.
Pourquoi attendre ?
A l’heure où le Royaume-Uni et la France se lancent dans des réformes législatives et opérations innovantes afin d’implanter solidement la finance islamique sur leur sol, la Suisse n’en débat même pas. Le gouvernement et les autorités de régulation auraient un rôle clé à jouer. Au-delà de l’octroi de licences bancaires à des banques islamiques, des réformes législatives devraient être mises en place afin d’encourager cette activité naissante. Les réformes pourraient tout aussi bien concerner les droits de mutation ou d’enregistrement que l’encouragement au développement de produits financiers et de contrats propres à la finance islamique. Est-ce que la Confédération suisse aura la volonté politique de sortir de sa politique d’autorégulation distante envers la place financière ? Osera-t-elle envisager une diversification de la place financière en la découplant du secret bancaire ?
Julien Briguet est membre du comité du foraus. Il vit à Londres et étudie à la London School of Economics and Political Science (LSE).
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