« La politique étrangère suisse en Amérique Centrale : Intérêts Economiques ou Droits Humains ? » (Compte-rendu et approfondissement de la conférence du 5 novembre 2014 organisé par le Foraus Genève en collaboration avec Peace Watch Switzerland)
Dans les années 80, l’Amérique Centrale canalisait l’attention du monde, de nombreux jeunes partaient en pèlerinage au Nicaragua pour apporter leur soutien au mouvement sandiniste. Alors qu’aujourd’hui, la région est oubliée. En nous expliquant cela, Thomas Jenatsch (DFAE/DDC) paraît surpris en bien de l’assemblée de cinquante personnes qui lui font face. Ce que Ivo Rogic (Université de Fribourg) nous raconte sur la politique suisse dans cette région à ce moment-là, sont les débuts du développement réel de la politique suisse en matière des Droits de l’Homme et les différentes visions des diplomates, entre promotion de ceux-ci et négligence face à l’influence du climat anti-communiste.
Aujourd’hui, les défis que traversent la plupart des pays d’Amérique Centrale, en termes de démocratie, de criminalité et d’inégalité sont largement méconnus du citoyen lambda. Anna Leissing (KOFF, Guatemala Netz) nous décrit le climat actuel de violations des Droits de l’Homme et d’insécurité aigue pour les défenseurs de ces droits au Honduras et au Guatemala (menaces, disparitions, enlèvements, assassinats, campagnes de criminalisation). Face à ce constat, Thomas Jenatsch martèle que la Suisse a un rôle à jouer en Amérique centrale. Surtout que selon lui, la Suisse n’a actuellement pas d’intérêts économiques assez importants pour que les Droits de l’Homme se trouvent en contradiction avec les intérêts économiques ! Et même d’ajouter qu’il n’est pas le travail de Berne de promouvoir les intérêts économiques des multinationales.
Alors mentionnons la création en 2013 des « Lignes directrices suisses sur la protection des défenseurs des Droits de l’Homme » par le DFAE. De telles lignes directrices avaient déjà été adoptées au niveau de l’ONU (1998) puis de l’UE (2004), mais elles restent plutôt méconnues par les acteurs concernés sur le terrain. Comme l’explique Anna Leissing, le gouvernement seul ne peut pas leur donner corps. Il nécessite l’appui de la société civile qui peut influencer la politique suisse de la région, opinion que partage Thomas Jenatsch. Pour preuves, l’exemple du DFAE revenant sur sa décision de fermer son ambassade au Guatemala (en raison de restrictions budgétaires), alors que la situation en matière des Droits de l’Homme y est préoccupante (2013), ainsi que la campagnemenée actuellement par la coalition Droit Sans Frontières pour que soit inscrite dans la Constitution helvétique l’obligation pour les multinationales suisses et leurs filiales à l’étranger de respecter les droits humains et l’environnement partout dans le monde.
En ce sens, revenant à notre conférence, notons que les Ambassadeurs du Honduras et du Salvador, ainsi que la Première Secrétaire guatémaltèque des Missions à Genève étaient présents. Malgré certaines divergences d’opinion, comme le souligne l’intervention de l’Ambassadeur du Honduras, Giampaolo Carmelo Rizzo Alvarado qui juge dépassée la description de la situation dans son pays par Anna Leissing, ces représentants sont bien là et participent au débat, face à la société civile suisse. Cela dénoterait-il une préoccupation de ce que la communauté internationale pense de leurs politiques ?
L’Amérique Centrale (Mark Cahuate, changement par l’auter).
Anna Leissing mentionne le manque de dialogue sur le terrain au Honduras entre le Président Juan Orlando Hernandez et la société civile. Il n’empêche que sa requête auprès de l’ONU d’implanter à Tegucigalpa un bureau pour les Droits de l’Homme, relève pour les acteurs de la société civile sur place, d’une volonté de légitimité aux yeux de la communauté internationale. Giampaolo Carmelo Rizzo Alvarado n’a d’ailleurs pas oublié de mentionner cette initiative à l’assistance de la conférence. Il semblerait que le gouvernement suisse soit impliqué dans les discussions relatives au financement d’un tel bureau, mais nous n’avons rien entendu à ce sujet durant la conférence. Quoi qu’il en soit, s’il voit le jour, son efficacité réelle dépendra de son mandat.
En conclusion, la conférence a ouvert de nombreuses pistes de réflexion pour réinscrire les défis que traverse l’Amérique centrale dans les agendas politiques. Nous proposons d’approfondir ces thématiques pour le cas du Honduras dans de prochains articles, depuis une perspective de terrain.