Pour célébrer le 75ème anniversaire de l’ONU, cinfo s’associe à l’Association Suisse-ONU (ASNU) et au forausblog en publiant une série d’articles sur les voix suisses du multilatéralisme. Au travers d’interviews réalisées par de jeunes auteurs, cinfo entend ainsi donner la parole aux Suisses et Suissesses travaillant en contact avec le monde onusien. Ce mois-ci, nous rencontrons Gilles Cerutti, Conseiller Stratégique du Président du CICR.
Guillaume et Marta : Gilles Cerutti, vous êtes Conseiller Stratégique du Président du CICR. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste votre travail ?
Gilles Cerutti : Au CICR, le Président Peter Maurer est le diplomate en chef. Mon rôle, au sein d’une petite équipe, est de les soutenir dans leurs activités aussi bien à l’externe qu’à l’interne. Je travaille notamment sur la stratégie institutionnelle, qui vise à préparer le CICR aux futurs enjeux. Je renforce également les liens entre le Président et le reste de l’institution, d’une part en aidant à concrétiser sa vision et d’autre part en faisant remonter les bonnes idées. Ce travail « d’ascenseur » entre la Présidence, la Direction Générale, l’administration et le personnel sur le terrain me donne une vision privilégiée de l’activité du CICR et me permet de superviser des dossiers très variés. Pas une journée de travail ne se ressemble.
Vous avez travaillé au CICR, à l’ONU puis au DFAE avant retourner chez le premier. Quel fil rouge a motivé ces changements de postes ?
GS : Je n’ai pas de plan de carrière défini et je suis constamment à la recherche d’un défi ou d’un nouvel angle d’approche sur le travail international. Lorsque j’ai débuté au CICR, j’avais un poste sur le terrain, d’abord au Darfour puis en Colombie. J’ai rapidement réalisé que la majorité des problèmes que l’on traitait sur place avait une nature politique. J’ai alors voulu découvrir l’envers du décor, ce qui m’a amené à travailler à l’ONU et pour le gouvernement suisse. Lorsque la possibilité de revenir travailler au CICR avec Peter Maurer s’est présentée, je n’ai pas hésité – d’autant que j’ai gardé un fort attachement pour cette maison. Les femmes et les hommes qui composent le CICR sont très engagés et inspirants, et c’est un plaisir de travailler dans un tel environnement.
Pourriez-vous nous citer une anecdote marquante de votre parcours ?
GS : Quand j’ai postulé au CICR à 26 ans, j’avais une certaine idée de l’institution mais je ne réalisais pas pleinement la réalité du travail de terrain. Le jour de mon entretien, je suis donc arrivé en avance pour visiter le musée de la Croix-Rouge. Il y avait une exposition temporaire sur l’Irak avec des photos très dures qui m’ont beaucoup marqué. L’entretien s’est néanmoins bien passé et quand on m’a accepté, j’ai vécu un dilemme interne. Je me suis demandé si je voulais vraiment aller travailler au milieu d’un conflit armé et potentiellement risquer ma vie. Quelques jours plus tard, alors que je peignais la façade de la maison de mes parents, une tuile est tombée du toit et s’est écrasée à quelques centimètres de moi. Ce fut un déclencheur, car j’ai réalisé que je pouvais tout aussi bien mourir en Suisse, bêtement qui plus est. Le CICR m’a finalement envoyé au Darfour et mes premières semaines ont été intenses, avec des peurs et des inquiétudes, mais je m’y suis habitué et le travail de terrain est devenu mon quotidien.
Vous avez mentionné les futurs enjeux auxquels fait face le CICR et sur lesquels vous travaillez. Pouvez-vous nous parler de l’un d’entre eux ?
GS : J’ai par exemple travaillé sur les questions liées à la transformation digitale, phénomène qui génère des risques car les cyberattaques sont devenues de plus en plus fréquentes et destructrices. Notre Président a récemment lancé un appel avec 40 leaders internationaux pour épargner les infrastructures de santé de ces attaques, qui peuvent être mortelles par exemple si elles touchent un hôpital. Le CICR met actuellement en place un comité consultatif de haut niveau pour identifier des solutions aux défis liés à l’espace cyber et protéger la population civile. Ceci dit, le digital crée aussi des opportunités. Nous lancerons bientôt une plateforme sécurisée sur lesquelles les populations vulnérables pourront se connecter pour recevoir des informations au sujet des aides humanitaires et pour stocker des documents importants tels que leurs documents d’identité ou titres de propriété.
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes intéressés par une carrière dans l’humanitaire ?
GS : C’est un monde qui peut être difficile à percer. Il faut passer par plusieurs périodes de stages, ne pas se laisser décourager et soigner son réseau. Personnellement j’ai plutôt fonctionné à l’instinct. Il est important de saisir les opportunités quand elles se présentent, tout en étant à l’écoute de soi-même. Travailler dans l’humanitaire implique de prendre certains risques, mais pas de façon inconsidérée : par exemple il est important de s’assurer que l’organisation avec laquelle on s’engage est capable de protéger ses employés sur le terrain. Ce travail demande certains sacrifices personnels mais le jeu en vaut la chandelle : il s’agit probablement des expériences professionnelles les plus enrichissantes que l’on puisse faire.
Photo : Gilles Cerutt