Le Royaume-Uni et l’UE ont conclu un accord de retrait. Une fois de plus, l’accord bute sur la ratification du parlement britannique et ce, alors même que le Premier ministre britannique, Boris Johnson, avait promis de sortir son pays de l’Union européenne le 31 octobre prochain. Après un article revenant sur le premier accord de retrait et son backstop honni, un second analysant le nouvel accord négocié par Boris Johnson et l’impasse politique actuelle, voici le dernier article de cette mini-série sur le brexit propose d’analyser les scénarios pour l’avenir du brexit ainsi que leur impact pour la Suisse.
Un nouveau délai se profile alors que l’incertitude quant à l’issue finale du brexit demeure élevée. Ce nouveau délai pourrait avoir des conséquences pour la Suisse, qui est elle-même engagée dans une négociation difficile avec l’UE.
Quelles sont les perspectives pour sortir de l’impasse ?
A l’heure actuelle, le sort de l’AR2 reste incertain et reste suspendu au résultat des élections générales de décembre prochain, pour autant qu’elles soient décisives. Selon plusieurs politologues, il existe un risque non négligeable pour que ces élections ne résolvent rien à l’impasse actuelle. En effet, compte-tenu des évolutions récentes de l’opinion publique, plus polarisée que jamais, il est probable que M. Johnson ne parvienne pas à accroître sensiblement la force électorale de son parti. Dans ces conditions, tous les scénarios sont donc possibles. Le WAB pourrait passer la rampe fin décembre 2019 ou en janvier 2020. Cependant, il est aussi possible que la législation d’application bute à nouveau sur l’opposition des parlementaires, surtout si M. Johnson venait à ressortir fragilisé des élections en n’obtenant pas de majorité large pour gouverner.
En outre, à l’heure actuelle, un facteur n’a pas suffisamment été pris en compte : la stabilité de l’Irlande du Nord. Si le nouvel accord de retrait contribuait à créer de réels troubles en Ulster, il est probable que la tâche du Premier ministre deviendrait encore plus difficile. Enfin, un autre facteur doit aussi être pris en compte : l’AR2 pourrait ouvrir la voie à une fragmentation économique du Royaume-Uni. Récemment, le gouvernement écossais a annoncé qu’il entendait s’inspirer de l’AR2. L’idée serait de permettre à l’Ecosse de rester, elle-aussi, dans l’union douanière et le marché intérieur de l’UE. Faute de quoi, la Première ministre écossaise laisse planer la menace de l’organisation rapide d’un nouveau référendum d’indépendance. Si les Ecossais arrivaient à leurs fins, le Royaume-Uni pourrait donc faire face à une deuxième division économique sur son propre territoire.
Devant ces risques, plusieurs parlementaires, y compris conservateurs, pourraient aussi hésiter à « valider l’essai » en rechignant à procéder à la ratification finale de l’AR2. A ce stade, il est donc impossible de connaître le sort de ce nouvel accord de retrait. Nul ne sait si le brexit sera véritablement mis en œuvre un jour. D’autres scénarios, tels que celui d’un nouveau référendum sur l’appartenance à l’UE, restent sur la table.
Quelles leçons pour la Suisse ?
La Suisse est actuellement engagée dans de difficiles négociations avec l’Union européenne. Depuis mai 2014, les deux parties essaient de conclure un accord institutionnel visant à encadrer 5 traités bilatéraux existants. En novembre 2018, le cycle principal des négociations s’est terminé. Dans la foulée, un « projet » d’accord a été publié par les autorités suisses. Toutefois, il s’avère que les parties achoppent encore sur quelques points, dont la réforme de certaines mesures suisses visant à lutter contre le dumping social (mesures d’accompagnement). Jusqu’à présent, l’UE et la Suisse n’ont pas réussi à aplanir les différences restantes. Néanmoins, le dialogue n’est pas rompu et les parties tentent toujours de trouver une solution acceptable pour envisager une signature et une ratification de l’accord institutionnel.
L’enjeu du brexit est certes différent de celui de l’accord institutionnel. Dans un cas, il s’agit pour un pays de sortir de l’UE, dans l’autre il s’agit de donner un cadre plus institutionnalisé à une relation préexistante. Ceci étant, une analyse approfondie révèle qu’il existe quelques points de comparaison intéressants entre les deux dossiers. C’est particulièrement le cas pour les questions de reprise dynamique de l’évolution du droit européen ainsi que du rôle de la Cour de Justice de l’UE.
Premièrement, il apparaît que même lorsque le texte d’un accord international est finalisé au niveau technique, l’UE reste ouverte à quelques changements. C’est particulièrement le cas lorsque la Commission et les Etats membres estiment que de tels changements ne portent atteinte ni à l’intégrité du projet d’accord, ni à leurs intérêts propres.
Deuxièmement, comme exposé dans les parties précédentes, la saga du brexit va encore se prolonger quelques mois. Compte-tenu des quelques similarités entre les deux négociations, il faut s’attendre à ce que la question de l’accord institutionnel traîne encore. En effet, la négociation du brexit mobilise de nombreuses ressources du côté de la Commission européenne.
Troisièmement, si la situation venait à se débloquer sur le front du brexit, cela ne signifierait pas nécessairement que l’accord institutionnel pourrait rapidement déboucher sur une issue positive. En effet, si l’AR2 était ratifié début 2020, les négociateurs britanniques et les Européens n’auraient qu’une année pour conclure un accord sur les relations futures. Or, cette nouvelle négociation risque de receler encore plus de points de comparaison avec la voie bilatérale suisse. Ce serait particulièrement le cas si, par exemple, le gouvernement britannique cherchait à participer pleinement aux programmes de recherche européens ou é conclure un accord d’intégration pour le transport aérien sur le modèle de ce que la Suisse a obtenu dans sa voie bilatérale. Cette tournure compliquerait la tâche des négociateurs suisses. En effet, leurs pourparlers avec la Commission européenne prendraient place dans un contexte où l’UE serait plus prudente, car elle aurait constamment en tête la négociation parallèle avec le Royaume-Uni.
En conclusion, il existe un certain risque que les relations entre la Suisse et l’UE s’enlisent davantage. Paradoxalement, ce risque est plus important si le Royaume-Uni parvenait à conclure son processus de sortie et à rapidement enclencher des négociations sur ses relations futures avec l’UE. En effet, les Suisses devraient alors faire face à un environnement de négociation dégradé. En passant, il est utile de rappeler que, sans accord institutionnel, la Suisse risquerait de voir « sa » voie bilatérale s’éroder progressivement (non-mise à jour d’accord existant par l’UE). La Confédération s’exposerait aussi à des mesures de rétorsion de l’UE, mesures dont les conséquences économiques restent à évaluer.
Montage de DG MEME, utilisé avec leur accord : http://bit.ly/2N0gNTa