L’avis 2/15 de la Cour de justice de l’UE – II. Les implications pour le Brexit et la Suisse

Europe

En tant que pays tiers entretenant des relations étroites avec l’UE, il est peu probable que la Suisse et le Royaume-Uni puissent se débarrasser des “juges étrangers”.

Selon les traités européens, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a le monopole de l’interprétation du droit de l’UE. Comme discuté dans la première partie de cette analyse, cet élément ainsi que les dispositions de l’avis 2/15 de la CJUE sont capitaux aussi bien pour la question du Brexit que pour les relations Suisse-UE.

Il convient tout d’abord de rappeler que le Royaume-Uni applique d’ores et déjà une grande partie des milliers de dispositions du droit de l’UE dans son ordre juridique propre. Il est donc difficile d’imaginer que les Britanniques puissent rapidement s’en débarrasser. Quant à la Suisse, ses accords bilatéraux renvoient souvent au droit de l’UE et son ordre juridique interne est, lui aussi, très européanisé. Quoi qu’il arrive, la CJUE sera donc un acteur d’importance dans les relations que Bruxelles entretient avec ces deux pays « tiers ».

Pour ce qui est du cas britannique et du Brexit, le Conseil de l’Union européenne a adopté des directives de négociations claires. Il y est fait mention de ce rôle réservé à la CJUE : « L’accord de retrait devrait comporter des mécanismes appropriés de règlement des différends (…) il est dans l’intérêt de l’Union de protéger effectivement son autonomie et son ordre juridique, y compris le rôle de la Cour de justice de l’Union européenne ».

Le cas suisse présente des similarités, bien que la situation intégrative de ce pays différente. En ce moment, Berne et Bruxelles négocient la mise en place d’un accord institutionnel encadrant plusieurs accords bilatéraux. D’après les grandes lignes des mandats de négociation des deux parties, le futur accord-cadre institutionnel réserve lui aussi un rôle important pour la CJUE. Le but de la démarche est simple : une application plus « homogène » et « dynamique » du droit de l’UE en Suisse. Si l’accord institutionnel était conclu, la CJUE pourrait donner un avis sur toute question relative à l’interprétation du droit de l’UE dans les accords bilatéraux. En outre, la Suisse s’engagerait à incorporer toute nouvelle législation européenne « pertinente », c’est-à-dire liée à ces accords.

A la lumière de l’avis 2/15, des directives de l’UE dans les négociations du Brexit et des négociations institutionnelles Suisse-UE, il semble donc que tant Londres que Berne ne puissent échapper au contrôle des juges européens. La situation du Royaume-Uni et celle de la Suisse sont en réalité « inversement » similaires et indissolublement liées.

En ce qui concerne le Royaume-Uni, l’UE exige de suite un arrangement institutionnel post-Brexit avec un rôle réservé à la Cour de justice. Ceci, afin d’éviter le développement d’une future approche bilatérale statique et peu homogène entre Bruxelles et Londres (soit comme celle dont la Suisse a bénéficié pendant des années).

Pour ce qui est de la Suisse, la conclusion d’un accord institutionnel constitue une condition sine qua non à la négociation de tout nouvel accord d’accès au marché intérieur. La relative intransigeance de l’UE face à la Suisse peut être interprétée comme un signal de fermeté adressé aux Britanniques.

La question des compétences sera certainement débattue lors de la conclusion de l’accord institutionnel entre la Suisse et l’UE, tout comme l’accord Brexit.

Il est probable que le futur accord institutionnel Suisse-UE sera interprété comme étant mixte. En effet, la CJUE lie le mécanisme institutionnel de l’accord avec Singapour à la nature de la compétence que ce mécanisme encadre. En d’autres termes, du moment que la compétence matérielle est partagée, le mécanisme institutionnel l’encadrant le sera aussi. Aussi, l’accord institutionnel entre la Suisse et l’UE pourrait bien être considéré comme possédant un caractère mixte (puisqu’il encadrerait des accords bilatéraux dans lesquels les compétences sont partagées). A ce titre, il devrait être conclu par l’UE et ses Etats membres. Ceci risque de retarder le processus de ratification. En outre, il n’est pas exclu qu’un ou plusieurs pays membres de l’UE, mécontents du résultat des négociations, prennent en otage le processus de ratification afin d’obtenir des contreparties plus favorables.

Logiquement, il devrait en être de même pour l’accord Brexit puisqu’il possède des dimensions aux compétences partagées. Toutefois, dans ses directives de négociations sur le Brexit, il faut relever que l’UE a définit la compétence pour conclure l’accord de sortie comme une « compétence spéciale ». Il s’agirait donc d’une sorte de lex specialis, qui permettrait à l’UE seule de négocier et conclure l’accord Brexit. A ce stade, nul ne sait si cette interprétation sera celle retenue lors de la signature de ce traité.