Après la désormais traditionnelle hausse des primes maladie, l’OFSP vient de réaliser son examen du prix des médicaments et a décidé d’une baisse pour 350 remèdes (sous réserve d’un probable recours des titulaires d’autorisation). Au début 2017, Alain Berset annonçait aussi vouloir réduire le prix des génériques et en améliorer l’attractivité. Cause tout autant noble que vaine : pour que ces objectifs se réalisent, encore faut-il que les génériques aient accès au marché. Or, le secteur pharmaceutique est la proie de stratégies inconciliables avec une concurrence saine ; la commercialisation des génériques est entravée, avec pour conséquence une augmentation du coût de la santé. Alors que l’UE en a pris conscience et a décidé d’agir, la Suisse soigne encore trop son industrie pharmaceutique, au détriment des vrais malades.
Les accords pay-for-delay (paiement inversé) l’illustrent parfaitement. Cette transaction extrajudiciaire permet aux parties de s’accorder en cas de conflit sur la validité d’un brevet : le fabricant de génériques admet la violation du brevet et s’engage à ne pas mettre en vente le générique pendant une certaine durée, alors que le développeur du princeps (médicament d’origine) transfère des valeurs en faveur du fabricant de génériques et s’engage à ne pas entraver la commercialisation du générique une fois cette durée écoulée. Cherchez l’erreur : l’auteur de la violation prétendue du brevet reçoit une récompense !
La structure du marché des médicaments justifie économiquement un tel accord. Le consommateur ne choisit pas le produit et n’en supporte pas entièrement le coût ; le prix n’influence donc pas la demande. Par conséquent, le nombre de médicaments vendus (princeps et génériques) reste le même après la commercialisation du générique. Toutefois, le bénéfice réalisé par le fabricant de génériques sera inférieur à la baisse de bénéfice du développeur du princeps. Il est alors économiquement raisonnable pour chacun de conclure au versement d’un montant entre la baisse de bénéfice attendue par le laboratoire et le bénéfice espéré par le fabricant de générique. Ce d’autant plus qu’ils éviteront un procès long, coûteux et incertain.
La situation en Europe
Constatant des anomalies sur le marché des médicaments (en particulier des retards dans l’entrée de médicaments génériques nouveaux, innovants et moins chers), la Commission européenne a publié des enquêtes annuelles dès 2008. Pour 2015, elle a analysé 125 accords, impliquant 58 laboratoires et 50 fabricants de génériques. Sept accords couvrent plus de la moitié de l’UE et impliquent des membres de l’AELE et 13 accords se fondent sur un système pay-for-delay. La Commission a aussi réprimé par de lourdes amendes trois ententes entre laboratoires et fabricants de génériques, taxant ces transactions de pratiques anti-concurrentielles. Sandoz, filiale de Novartis, était directement impliquée. La Commission a conclu que ces accords constituaient des restrictions par objet et a présumé leur caractère anticoncurrentiel au vu de leur degré de nocivité potentiel. Aucune affaire n’a encore été jugée en seconde instance par la Cour de Justice de l’UE et l’appréciation de la Commission reste à confirmer. La qualification de restriction par objet n’est pas acquise, car la Cour de Justice a développé une approche limitative, exigeant de la Commission qu’elle se fonde sur une nocivité évidente de l’accord au vu de l’expérience acquise. Force est d’admettre que celle-ci fait encore défaut en matière de paiement inversé.
Et en Suisse ?
En Suisse, malgré l’importance de la pharma, la problématique ne fait pas l’objet d’un débat public. La Commission de la concurrence (ComCo) n’a rendu aucune décision à ce sujet et, pire encore, son Secrétariat n’a mené aucune enquête. Une première question se pose : la Loi fédérale sur les cartels (LCart) s’applique-t-elle à un tel accord ? Dans la mesure où sont exclues du champ d’application les prescriptions qui excluent de la concurrence certains biens ou services, notamment celles qui établissent un régime de marché ou de prix à caractère étatique, la LCart ne devrait pas être applicable aux accords concernant des médicaments soumis au tarif TARMED. Pour les rares cas soumis à la LCart, il faudrait alors reprendre l’appréciation du droit européen dont le législateur suisse s’est inspiré et partir du postulat que la présomption d’illicéité de l’art. 5 al. 3 let. b LCart (restriction des quantités de biens produits) s’applique, le fabricant de génériques s’étant engagé à ne rien commercialiser.
Problèmes et solutions
En résumé, si la protection du brevet est conciliable avec une concurrence saine, il en va autrement d’un exercice abusif de ce brevet, afin d’en prolonger fallacieusement la durée. Le marché pharmaceutique suisse est encore perméable à ces abus qui se répercutent au final sur les coûts de la santé et le porte-monnaie des assurés. Les pouvoirs publics restent apathiques face à cette problématique, en violation du devoir constitutionnel de protection des consommateurs. Pourtant des actions existent pour rétablir une concurrence efficace et réduire ainsi le coût général de la santé :
Donner les moyens à la ComCo de mener une enquête aboutissant, cas échéant, sur une sanction que devront confirmer les tribunaux ; ou
Adopter des révisions législatives relatives au processus de mise sur le marché des médicaments, à la procédure en cas de conflit sur un brevet, à la LCart, voire aux droits des associations de protection des consommateurs.
Ces deux hypothèses semblent lointaines et nous serions bien inspirés de prendre rapidement exemple sur notre voisin européen.