Le Royaume-Uni et l’UE viennent de conclure un accord de retrait. Une fois de plus, l’accord bute sur la ratification du parlement britannique et ce, alors même que le Premier ministre britannique, Boris Johnson, avait promis de sortir son pays de l’Union européenne le 31 octobre prochain. Le Forausblog propose une mini-série de trois articles de blog résumant les informations essentielles de la saga du Brexit. Après un premier article revenant sur le premier accord de retrait et son backstop honni, le deuxième se propose d’analyser le nouvel accord négocié par Boris Johnson ainsi que l’impasse politique actuelle.
Comment M. Johnson a-t-il réussi à finaliser un nouvel accord de retrait (AR2) ?
Dès son arrivée au pouvoir, M. Johnson a martelé qu’il pourra facilement renégocier l’AR1 avec l’UE et, surtout, faire disparaître le backstop. Ces propos ont été accueillis avec beaucoup de scepticisme par la plupart des experts. Ils estimaient que l’UE ne renégocierait pas un accord international déjà finalisé au niveau des négociateurs (paraphe). De plus, sans backstop, il n’existerait aucun moyen permettant au Royaume-Uni de quitter l’UE sans ré-instituer des contrôles douaniers entre les deux Irlandes. L’équation paraissait donc tout à fait insoluble.
Pourtant, contre toute attente, le 17 octobre dernier, l’UE et le gouvernement britannique annonçaient la conclusion d’un accord de retrait révisé (AR2). Le nouvel accord ne comportait pas de backstop. De prime abord, cette annonce laisser augurer une grande victoire politique pour Boris Johnson. Toutefois, ce constat n’a pas longtemps résisté à une analyse approfondie du texte de l’AR2.
Si le backstop a bel et bien disparu, un autre système, bien plus rigide, le remplace. Il s’agit d’un alignement sur les législations de l’UE (union douanière et marché intérieur) dont le périmètre d’application est limité à l’Irlande du Nord. Contrairement au backstop, conçu comme une assurance, ce nouveau système n’est pas lié à l’absence d’accord sur les relations futures. Il a vocation à s’appliquer dès la fin de la période de transition, soit en janvier 2021. En outre, le parlement régional d’Irlande du Nord devra renouveler ce système tous les 4 ans (« Stormont lock »). Cette assemblée étant très majoritairement acquise à l’accord du Vendredi saint, il est très peu probable que ce système d’alignement soit remis en cause, d’où son caractère de facto permanent.
L’AR2 ainsi modifié respecterait certes l’accord de paix du Vendredi saint, mais il aurait aussi pour conséquence de créer une frontière douanière au sein d’un même pays, soit entre l’Irlande du Nord de l’île de Grande-Bretagne. La mise en place d’une nouvelle frontière aurait des conséquences économiques et administratives très concrètes. Par exemple, les entreprises nord-irlandaises devraient remplir des déclarations douanières au moment d’exporter dans le reste du Royaume-Uni. En d’autres termes, le Stormont Lock entérinerait une séparation économique permanente entre l’Ulster et le reste du Royaume-Uni.
En outre, l’instauration de ce mécanisme d’alignement permanent représente une volte-face de Boris Johnson qui avait toujours annoncé qu’il n’accepterait jamais une solution qui place l’Irlande du Nord dans une situation économique différente du reste du pays (« bespoke solution ») et ce, au nom de l’indivisibilité du Royaume-Uni. Pourtant, une telle division ne semble pas avoir troublé le Premier ministre britannique qui a qualifié son accord de grande réussite pour son pays. Ce n’est toutefois pas l’avis d’une partie des forces politiques unionistes d’Irlande du Nord (Parti DUP – 10 députés au parlement britannique) qui ont promis de s’opposer de toutes leurs forces à la ratification de l’AR2, allant même jusqu’à menacer Londres de mener des actions de désobéissance civile. En effet, selon ces unionistes, une division économique entre l’Ulster et l’île de Grande-Bretagne est inacceptable au regard de leur lutte ancestrale pour maintenir les liens les plus étroits possible avec le Royaume-Uni.
Comment l’AR2 a-t-il été reçu par le parlement britannique ?
Le parlement britannique n’a eu que très peu de temps pour prendre connaissance de ce nouvel accord de retrait et pour se prononcer sur son destin. Après une délibération menée tambour battant par l’administration Johnson, les parlementaires britanniques ont accepté de rentrer en matière le 22 octobre déjà. Plus précisément, L’AR2 a été accepté, en deuxième lecture, par une courte majorité de parlementaires (329 voix contre 299). A ce moment précis, le Premier ministre britannique semblait tenir une importante victoire sur le front interne. En effet, il réussissait là où le précédent gouvernement britannique, mené par Theresa May, avait piteusement échoué par trois fois.
Toutefois, quelques instants à peine plus tard, ces mêmes parlementaires refusaient un calendrier de délibération, lui-aussi très serré, sur la législation interne de mise en œuvre de l’AR2 (« withdrawal agreement bill » ou « WAB »). Cette législation étant absolument nécessaire à la ratification finale du nouvel accord de retrait, le Royaume-Uni ne pourra donc sortir de l’UE le 31 octobre prochain. Dès lors, un nouveau délai est vite devenu nécessaire pour éviter la survenue d’un cliff-edge. Sous la pression du parlement qui avait légiféré en ce sens (Benn Act), Boris Johnson s’est résigné à demander un nième délai, fixé cette fois-ci au 31 janvier 2020. Après quelques atermoiements entre Etats membres, l’UE a consenti à donner encore du temps aux Britanniques.
Ce nouveau rebondissement, dans une saga qui en compte déjà beaucoup, constitue sans nul doute un revers de taille pour le Premier ministre britannique. En effet, Boris Johnson avait plusieurs fois promis de faire sortir son pays de l’Union à la fin du mois d’octobre « do or die ». Certains observateurs parlent même d’une humiliation personnelle alors que le gouvernement britannique avait lancé une campagne publicitaire à grands frais pour préparer la population au « halloween » brexit.
L’AR2 a-t-il une chance d’entrer en vigueur rapidement ?
Ce nouveau report tient largement au fait que le Premier ministre britannique a attendu la dernière minute pour finaliser un nouvel accord de retrait avec l’UE et pour le présenter à ses parlementaires. Ainsi, le temps manquait aux parlementaires britanniques pour analyser le contenu de l’AR2 avant la date butoir du 31 octobre. Plutôt que de signer un chèque en blanc, la plupart des parlementaires (319 voix contre 309) ont refusé le calendrier de délibération proposé par l’administration Johnson pour l’adoption de la WAB.
Au lieu de revoir sa copie et de prendre son mal en patience, Boris Johnson a retiré l’AR2 de l’agenda du parlement et entend désormais forcer le destin en convoquant des élections générales anticipées pour décembre prochain. En effet, le Premier ministre britannique estime qu’une nouvelle élection lui permettra d’obtenir une majorité au parlement et, par conséquent, à sortir plus rapidement de l’UE.
En réalité, il s’agit là d’une manœuvre de diversion politique, et ce à plus d’un titre. Dans un premier temps, la manœuvre vise à empêcher les parlementaires de mettre en évidence toutes les implications négatives du nouvel accord, particulièrement celles liées au nouveau statut économique séparé de l’Irlande du Nord. En effet, il est prévu que les activités parlementaires cessent durant la campagne électorale. Dans un deuxième temps, le Premier ministre entend faire porter la responsabilité du non-respect de la date butoir du 31 octobre aux parlementaires britanniques. Dans ce contexte, le but d’une élection est d’ériger le gouvernement actuel en défenseur de la volonté populaire face à un establishment « pro-européen » et « mauvais perdant ». L’élection doit donc constituer un moment décisif où le « peuple », représenté par Boris Johnson et le noyau eurosceptique du parti conservateur, pourra s’opposer à ses « élites », représenté par les autres partis (labour, libéraux-démocrates et quelques conservateurs modérés). Si le pari est payant, le Premier ministre pourra alors gouverner en s’appuyant sur une majorité parlementaire plus large. Ce qui pourrait avoir des conséquences sur la forme des relations futures entre le Royaume-Uni et l’UE. En effet, M. Johnson favorise un cadre de coopération assez restreint avec Bruxelles.
La situation actuelle recèle encore certaines incertitudes pour la suite des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, ce qui pourrait avoir un impact sur la situation de la Suisse. Ces éléments feront l’objet du prochain et dernier blog de cette mini-série sur le brexit.
Montage de DG MEME, utilisé avec leur accord : http://bit.ly/2N0gNTa