Quel est le lien entre le récent avis de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), les négociations de sortie du Royaume-Uni de l’UE et l’accord institutionnel actuellement en négociation entre la Suisse et l’UE ? A première vue, il n’y en a aucun. Pourtant, ce lien existe bel et bien car ces trois questions présentent des similarités. Cette analyse porte sur les enjeux entourant le récent avis 2/15 de la CJUE. Dans un second temps, l’analyse abordera les implications pour les relations Suisse-UE ainsi que pour le Royaume-Uni.
L’avis 2/15 a été rendu le 16 mai 2017. Dans cet avis, la CJUE s’est prononcée sur la nature des compétences nécessaires à la conclusion de l’accord de libre-échange entre l’UE et Singapour. Cet accord, dit de « nouvelle génération », porte non seulement sur l’abolition des obstacles traditionnels aux échanges de biens et services, mais comporte également des chapitres sur les investissements, la propriété intellectuelle, la concurrence et le développement durable. Autant de domaines qui, selon les Etats membres de l’UE, font partie si ce n’est de leurs compétences nationales, du moins des compétences dites « partagées » avec l’UE. Or, ce n’était pas l’opinion de la Commission. Cette dernière a donc déposé une demande d’avis devant la Cour de justice. Ce faisant, la Commission a plaidé pour que l’accord soit interprété comme relevant des compétences « exclusives » de l’UE. Par son avis 2/15, la CJUE a néanmoins tranché dans le sens des Etats membres. Ainsi, l’accord entre l’UE et Singapour a été interprété comme un accord dit « mixte ». En effet, selon la CJUE, l’accord contient des éléments pour lesquelles les compétences restent partagées entre l’UE et ses Etats membres. Cette décision est loin d’être anodine. En tant qu’accord mixte, ce traité doit être signé et ratifié aussi bien par l’UE que par ses Etats membres. Soit dit en passant, il faudra être attentif quant aux implications à long terme de cet avis puisqu’il attribue un nombre croissant de compétences exclusives à l’UE.
Quel est l’effet de cet avis sur le traité de sortie du Royaume-Uni de l’UE (« Brexit ») et l’accord institutionnel entre la Suisse et l’UE, qui sont tous deux actuellement en négociation ? La réponse est double. Premièrement, il pourrait avoir un effet sur le nature de la procédure de ratification de ces deux futurs traités. Deuxièmement, cet avis pourrait avoir un impact quant au rôle que la CJUE compte s’octroyer tant dans les futures relations Royaume-Uni–UE que celles entre la Suisse et l’UE.
A la fin de son avis 2/15, la Cour aborde en effet le mécanisme de règlement des différends prévu dans l’accord de libre-échange entre l’UE et Singapour. A cette occasion, elle ne tranche pas la question de la compatibilité de ce mécanisme particulier avec le système des traités européens ni celle de sa compatibilité avec la nécessité de préserver l’autonomie du droit de l’UE. En effet, la demande d’avis ne portait que sur la nature de compétences en jeu. La Cour rappelle néanmoins sa jurisprudence statuant l’incompatibilité de juridictions prévues dans des accords internationaux – et auxquels l’UE est partie – avec le droit de l’UE. En effet, selon les traités européens, la CJUE a le monopole de l’interprétation de ce droit. Ces propos doivent sonner comme une mise en garde face à la création de toute juridiction à même de concurrencer directement ou indirectement la CJUE. Ce coup de semonce intervient justement au moment où la Belgique s’apprête à demander à la Cour son avis sur la compatibilité de l’accord entre l’UE et le Canada (le CETA) avec le système des traités et notamment la compatibilité du mécanisme de règlements des différends qu’il prévoit avec « l’autonomie du droit de l’Union ». Comme nous le verrons dans la seconde partie de cette analyse, ces épisodes juridiques, bien que peu médiatisés, auront sûrement des conséquences pratiques pour l’avenir des relations Grande-Bretagne–UE d’une part, et celles entre la Suisse et l’UE de l’autre.