Pays d’une superficie quatre fois inférieure à celle de la Suisse, le Liban a vécu plusieurs années de guerres civiles et interétatiques. Il est d’ailleurs toujours officiellement en guerre avec Israël. De quoi ébranler son histoire et les mémoires, mais pas sa conviction : avancer et se moderniser. Selon un témoin attentif de la région, l’ambassadrice de Suisse au Liban, Mme Monika Schmutz Kirgöz, « il y a plusieurs éléments qui font de ce pays, malgré sa petite taille, le plus grand de la région ». Rencontre.
Nous sommes attendus par Mme l’ambassadrice de Suisse au Liban dans ses bureaux, nichés dans les hauteurs d’un immeuble à l’Avenue Fouad Chéhab, à Beyrouth. Pour débuter notre entrevue, nous posons à Mme Schmutz Kirgöz une question qui nous taraude : est-ce que le Liban est toujours la « Suisse du Moyen-Orient », comme beaucoup aiment à le dire ? Avant de répondre à notre question, l’ambassadrice sourit d’abord, puis jette un regard au plafond, avant de répondre de façon posée : « ce n’est plus le cas, mais ce l’eut été avant les guerres ». Elle fait ici référence aux guerres civiles de 1975 à 1990, et à la dernière en date, qui opposa le pays à Israël. C’était en 2006 seulement. Depuis, aucun traité de paix n’a été signé avec ce voisin et les forces intermédiaires des Nations Unies au Liban (FINUL) patrouillent toujours dans le Sud. Sur la frontière est du Liban, ainsi qu’au Nord, la situation n’est guère plus apaisée, avec une Syrie en conflit, qui ne reconnaît en outre toujours pas l’indépendance libanaise (considérant le pays comme un bout de territoire syrien). Seule la Méditerranée sur sa côte ouest lui offre un vent de répit. Le Liban ne s’arrête pourtant pas à l’instabilité qui règne à ses frontières et réussit le tour de force de garantir une certaine stabilité intérieure.
La capacité du Liban à faire face aux problèmes est étonnante. Même si l’eau du robinet n’est toujours pas potable et que la gestion des déchets représente un défi de santé publique, le Liban réussit dans d’autres domaines complexes. Le pays a été confronté d’abord à l’arrivée des réfugiés palestiniens, puis syriens. Alors que certains États européens se demandent s’ils vont (encore) accueillir quelques centaines de réfugiés syriens, le Liban en accueille, lui, plus d’un million, majoritairement sunnite, sur une population totale d’environ 4 à 6 millions d’individus. De quoi remettre en question l’équilibre confessionnel du Liban ? « Oui, et non », nous répond Mme Schmutz Kirgöz. En effet, en parallèle à l’afflux de réfugiés syriens, sunnites, la majorité des réfugiés palestiniens, majoritairement chrétiens, qui ont fui leur pays en 1948, ont désormais obtenu la nationalité libanaise. On s’y retrouverait donc peut-être dans les chiffres. Mais on ne le saura jamais vraiment, car certains ne souhaitent pas établir de recensement officiel, nous explique Mme l’ambassadrice. La répartition confessionnelle qui fait foi aujourd’hui au niveau institutionnel semble convenir à tout le monde. Bien téméraire serait celui qui voudrait mettre son doigt là où il ne faut pas.
En effet, l’une des spécificités du Liban est son système politique, dit de démocratie consociative. Son président doit être chrétien maronite, le Premier ministre musulman sunnite et le président de l’Assemblée nationale musulman chiite (système de la Troïka). La Constitution libanaise garantit également des sièges parlementaires aux différentes confessions. Le Hezbollah y est par ailleurs représenté.
Cette formule magique « à la libanaise » conduit à une large représentation des différentes sensibilités présentes dans les hautes sphères du pouvoir, et assure, par effet de ricochet, une grande liberté d’expression à la société civile et à la presse. « La liberté donnée aux médias est remarquable et à remarquer, explique Mme Schmutz Kirgöz. Le Liban fait d’ailleurs quelque peu figure d’exception dans la région ». Les journaux rédigent analyses politiques et commentaires piquants sur le gouvernement, sans pour autant être inquiétés. Une situation d’autant plus notable alors que plus de 18 confessions reconnues coexistent à l’intérieur des quelques 10 400 km carrés du pays. En outre, ses sensibilités peuvent s’exprimer au travers d’une scène culturelle et artistique foisonnante. « Il n’y a pas un week-end voire une soirée où il n’y a pas un spectacle à voir, un musée à visiter, un concert à écouter », témoigne avec enthousiasme Mme l’ambassadrice.
Une chose est sûre, si le Liban n’est plus la « Suisse du Moyen-Orient », c’est un petit pays qui a toutes les cartes en main pour être un exemple dans la région. Celui qui voudrait y voir un air de famille avec la Suisse et son système politique n’aurait pas tout faux. Cependant, ne nous y trompons pas, comme le dit si bien Mme Schmutz Kirgöz : « Si vous croyez avoir compris le Liban, c’est qu’on vous l’a mal expliqué ».
Photo : Laurine Jobin, Beyrouth, Juin 2019.