Vue de Suisse, une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) soulève de nombreuses interrogations. Dans ce cadre, plusieurs commentateurs (dont le Professeur honoraire Philippe Braillard) ont soutenu l’idée selon laquelle un « Brexit » serait largement profitable à la Suisse.
Vue de Suisse, une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) soulève de nombreuses interrogations. Dans ce cadre, plusieurs commentateurs (dont le Professeur honoraire Philippe Braillard) ont soutenu l’idée selon laquelle un « Brexit » serait largement profitable à la Suisse.
Dans le texte suivant, j’examine systématiquement cette idée en formulant une appréciation sur les trois grands arguments régulièrement utilisés pour la soutenir :
1) Une sortie du Royaume-Uni mettrait fin à l’isolement de la Suisse dans ses démarches bilatérales. Il entrainerait ainsi un renforcement du « pouvoir de négociation » de la Suisse dans ses pourparlers avec l’UE.
Lors des deux ans de négociations visant à lui octroyer un nouveau statut, le Royaume-Uni deviendrait un pays tiers mais essayerait en parallèle de maintenir un accès au marché intérieur. L’idée ici est que la Suisse pourrait « se joindre aux efforts anglais » dans le but de développer sa propre voie bilatérale. Par exemple, si le Royaume-Uni venait à obtenir un accès au marché européen des services financiers, Berne pourrait se prévaloir de ce précédent pour exiger la conclusion d’un accord similaire.
Cet argument est problématique car il repose sur une hypothèse incertaine. En réalité, à l’heure actuelle, nul ne sait quelle sera la nouveau modèle d’intégration du Royaume-Uni s’il venait à quitter l’Union. Londres pourrait très bien décider de rejoindre l’Espace économique européen (EEE) ou simplement se satisfaire de la conclusion d’un accord de libre échange élargi avec l’UE. Dans ces deux cas, un Brexit ne contribuerait d’aucune manière à améliorer la position de négociation de la Suisse. En effet, les modalités d’intégration du Royaume-Uni et de la Suisse seraient trop dissemblables pour espérer tout parallèle. Par ailleurs, même si le gouvernement de M. Cameron cherchait à émuler le modèle d’intégration helvétique – ce qui est loin d’être acquis compte tenu des critiques que le Premier Ministre Britannique a adressé à l’endroit du bilatéralisme suisse – rien ne dit que l’UE serait disposée à traiter de manière bienveillante deux pays aux caractéristiques si différents.
2) En cas de Brexit, Bruxelles finira par accepter la création d’un « nouveau cercle d’intégration extérieure » incluant les pays européens désirant éviter toute adhésion à l’UE (ou à l’EEE) tout en préservant des liens économiques privilégiés avec l’UE.
Ce deuxième argument découle de l’idée selon laquelle l’UE a perdu sa cohésion politique interne et qu’elle ne pourra continuer son processus d’intégration « sans cesse plus étroit » qu’à la condition de permettre à différents groupes de pays d’avancer à leur rythme voire même à choisir le statu quo. Ceci impliquerait la création d’une « Europe des cercles » au fonctionnement différentié pour ses membres.
A nouveau, les choses sont plus compliquées. Premièrement, l’UE ne peut se permettre de créer un cercle d’intégration extérieur pour accommoder les prétentions particulières du Royaume-Uni et de la Suisse. En effet, un tel scénario renforcerait considérablement les forces eurosceptiques présentes dans les pays membres restants. Ces dernières pousseraient leurs pays respectifs à imiter une sortie « à l’anglaise ». Dès lors, l’UE cesserait d’exister sous sa forme actuelle, laissant augurer une grande période d’incertitude et, peut être même d’instabilité politique sur le Vieux Continent.
Selon plusieurs sources à Bruxelles (sous couvert d’anonymat), les choses sont donc claires. Si les Britanniques sortent, les portes de l’EEE leurs seront ouvertes. De fait, le Royaume-Uni deviendrait alors un satellite économique de l’UE. S’ils n’y consentent pas, il faudra bien conclure des accords bilatéraux pour régler les problèmes pratiques et pour éviter une série de petites catastrophes économiques. Dans ce cas de figure, il ne sera nullement question de créer un modèle multilatéral, soit un nouvel espace d’intégration destiné à accueillir plusieurs pays. Le Royaume-Uni conclura au cas par cas et selon le bon vouloir de l’UE, une série d’accords sectoriels pour autant qu’il s’engage à adopter l’évolution de certaines législations européennes. Comme pour le cas suisse, il s’agira plutôt d’un bricolage et non d’un nouveau cercle d’intégration profitable à Berne.
Deuxièmement, tout cercle d’intégration extérieure se trouverait en concurrence directe avec l’Espace économique européen (EEE). Le problème ici est que l’UE ne souhaite pas affaiblir l’EEE en la faisant apparaitre comme un carcan à côté d’une structure similaire plus flexible. En effet, plusieurs responsables européens perçoivent l’EEE comme un modèle de gouvernance extérieure très abouti et qu’il convient de préserver. Troisièmement, même si l’on faisait abstraction des problèmes mentionnés ci-dessus, tout nouveau cercle d’intégration connaitrait des problèmes pratiques considérables lors de son élaboration (il faudrait par exemple se mettre d’accord sur une procédure en cas de règlement des différends, un mécanisme de surveillance de l’application des accords etc.).
3) La propension de l’UE à créer des contraintes règlementaires diminuerait à la suite d’un Brexit.
L’idée ici est que l’Union européenne sortira très affaiblie par le Brexit et qu’elle sera donc moins encline à défendre des positions « dogmatiques » vis-à-vis de la Suisse. Cette nouvelle configuration confèrera un avantage à Berne, particulièrement dans le cadre de sa négociation institutionnelle actuelle.
Tout d’abord, il s’agit ici d’un mauvais calcul. En effet, il est étrange pour un observateur suisse de se réjouir de l’affaiblissement du principal partenaire économique de son pays. D’ailleurs, l’une des premières conséquences de cet affaiblissement affectera aussi l’économie suisse. A la suite d’un Brexit, l’euro devrait encore chuter et donc renforcer le problème du franc fort.
En outre, l’hypothèse selon laquelle l’UE finira bien par être « plus flexible » avec la Suisse est pour le moins optimiste. En réalité, de nombreux analystes considèrent qu’une sortie du Royaume-Uni permettrait à l’UE de davantage légiférer voire même d’accélérer son processus d’intégration. Leur raisonnement est tout à fait pertinent car, historiquement, le Royaume-Uni a souvent profité de son appartenance à l’UE pour bloquer certaines législations européennes et freiner le processus d’intégration dans son ensemble. De nombreux épisodes historiques en attestent. Par exemple, en 2004, le Premier Ministre Tony Blair – pourtant plutôt considéré comme pro-européen au Royaume-Uni – a refusé de valider la nomination du Premier Ministre belge Guy Verhofstadt à la Présidence de la Commission européenne. En effet, ce dernier était perçu par Londres comme un « euroturbo ». Cet épisode, peu connu du grand public, a laissé des traces puisque le deuxième choix des pays membres s’est porté sur le Premier Ministre portugais José Manuel Barroso, un adepte des méthodes intergouvernementales peu enclin à proposer des solutions fédérales aux problèmes.
En conclusion, l’idée selon laquelle la sortie du Royaume-Uni constituerait une opportunité politique pour la Suisse manque singulièrement de prudence et de clairvoyance. L’analyse sur laquelle repose cette idée souffre d’un seul problème: elle ne prend pas suffisamment en compte la perspective politique et, surtout, les préférences des responsables politiques européens. A l’heure actuelle, l’un des seuls éléments qui paraît certain en cas de Brexit, c’est que le dossier suisse deviendra d’importance très secondaire à Bruxelles. Dès lors, la Suisse n’arrivera pas à trouver de solutions rapides à ses litiges avec l’UE (libre circulation, questions institutionnelles). Ceci accentuera encore l’incertitude qui plane sur la voie bilatérale.