Reportage à Tegucigalpa: La Suisse et la protection des défenseurs des droits de l’homme

Völkerrecht

L’apport de la société civile dans la concrétisation des Lignes directrices de la Suisse concernant la protection des défenseurs des droits de l’Homme : le cas de la Nueva Esperanza, Honduras.

 

En décembre 2013, le DFAE a publié les « Lignes directrices de la Suisse concernant la protection des défenseurs des droits de l’homme » (DDH). Elles reconnaissent le rôle de ces derniers et l’obligation de la Suisse de les protéger. Un DDH «désigne toute personne qui, individuellement ou en association avec d’autres, œuvre à la promotion ou à la protection des droits de l’homme. Les défenseurs des droits de l’homme se reconnaissent avant tout à ce qu’ils font (…) ». (Déclaration de l’ONU sur les DDH, 1998). Sur le terrain, l’exemple de la Nueva Esperanza (Honduras) montre bien la nécessité de poursuivre l’effort.

PROAH (Projet d’Accompagnement International au Honduras) est une ONG d’observateurs internationaux des droits de l’homme accompagnant des DDH. Parmi eux, la communauté de la Nueva Esperanza, située au nord du Honduras, dans le Département d’Atlantida, près de la côte caraïbe. La communauté vit principalement des revenus de sa terre ainsi que des remasas, l’argent envoyé par les membres de la famille qui ont fait le dangereux voyage vers les Etats-Unis. En 2012, le gouvernement hondurien cède à l’entreprise Minerales Victoria une concession de 1000 hectares sur les terres privées de la communauté dont les sols sont riches en oxyde de fer, en charbon et en or. Après s’être opposée au projet d’exploitation minière de l’entreprise Minerales Victoria, la communauté est victime de menaces de mort et d’expropriation. Concrètement, l’entreprise avait engagé une compagnie de sécurité privée qui menaçait les habitants de la communauté refusant de lui vendre ses terres. La police s’est rendue coupable de collusion en laissant les victimes esseulées, malgré les nombreuses dénonciations aux autorités. Le Ministère Public ainsi que le Commissaire National aux Droits de l’Homme ont ultérieurement constaté que ces policiers agissaient sans aucun mécanisme de contrôle étatique.

Les lignes directrices ont été rédigées afin de garantir une meilleure protection des DDH face à de telles menaces, ainsi qu’une meilleure connaissance des employés des représentations suisses à l’étranger des problèmes auxquels sont confrontés les DDH. Toutefois, pour les concrétiser, la Suisse a besoin de l’aide de la société civile. Ainsi, les observateurs internationaux de PROAH ont accompagné la communauté par des visites visant à lui apporter un appui moral ainsi qu’à renforcer sa protection, en travaillant en réseau avec la société civile nationale et internationale opérant sur place, en assistant aux audiences juridiques, ainsi qu’en effectuant un travail de documentation et d’advocacy. Toutes ces mesures de protection sont mentionnées dans les lignes directrices suisses, qui s’appuient d’ailleurs sur des expériences ayant fait leurs preuves.

La nécessité pour le gouvernement suisse de concrétiser ses lignes directrices est d’autant plus visible lorsque les accompagnateurs eux-mêmes, inclus dans la définition des DDH mentionnés plus haut, sont eux aussi menacés. Dans le cas de la Nueva Esperanza, la privation de liberté de deux observateurs de PROAH par la compagnie de sécurité privée engagée par Minerales Victoria démontre que la communauté ne peut lutter sans accompagnement, mais aussi que le travail des accompagnateurs nécessite l’appui de leur gouvernement. Au-delà du séquestre lui-même, condamné par Amnesty International, l’organisation Human Rights Watch a quant à elle exhorté le gouvernement hondurien à ne pas mépriser les droits des leaders des ONGs honduriennes qui ont attiré l’attention du Congrès américain sur ce sujet. En effet, cette tentative de déligitimation est un exemple des nombreuses violations des droits de l’homme dont sont victimes les défenseurs de ces droits au Honduras, ainsi que de l’absence de sécurité offerte par le gouvernement hondurien face à ces menaces. Toutefois, le gouvernement suisse financeactuellement des projets de réforme sécuritaire du gouvernement hondurien, sans grand résultat.

En novembre 2014, un des exécutants de la privation de liberté des deux observateurs de PROAH est condamné à une peine de 4 ans et 3 mois de prison. Selon la loi hondurienne, en dessous de 5 ans de réclusion, la peine peut être transformée en amende d’un montant de 10 Lempiras par jour (environ 50 centimes suisses), ce qui dans ce cas s’élève à environ 775.- CHF. Si cette somme est importante pour un Hondurien, elle ne l’est pas pour Minerales Victoria qui a probablement payé les frais d’avocat. Malgré tout, dans un pays où le taux d’impunité (pour les homicides) est de 96%, cette condamnation est encourageante, d’autant plus qu’elle a été émise en un temps très court pour les standards honduriens. Plusieurs acteurs de la société civile attribuent cette rapidité au fait que l’accusation était composée d’observateurs étrangers, ainsi que par l’attention internationale dont a bénéficié le cas. En outre, grâce à la pression de la société civile nationale et internationale, après la phase d’exploration de Minerales Victoria, la demande de concession d’exploitation est pour l’instant en suspens.

Le cas de la Nueva Esperanza reflète la nécessité pour le gouvernement suisse de travailler avec la société civile afin de concrétiser ses directrices. Mais au-delà de cela, il interroge sur la stratégie suisse au Honduras, qui semble apporter une attention particulière aux DDH certes, mais qui en même temps finance la réforme de la police nationale hondurienne, elle-même impliquée dans de nombreuses violations des droits de l’homme. Pour l’heure, sans résultat tangible.