Brexit et « immigration de masse » en Suisse : de troublantes similarités

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Le journaliste Jean Quatremer a récemment observé que les négociations du Brexit venaient de voir le Royaume-Uni (R-U) « capituler » devant l’Union européenne (UE). En effet, après avoir tenté diverses manœuvres, les négociateurs britanniques se sont ralliés aux thèses de leurs homologues européens. Sommés par l’UE de proposer des solutions de divorce « acceptables », les Britanniques ont cédé sur leurs lignes rouges et se sont résignés à conclure un pré-accord de sortie. Ce document contient les éléments suivants :

– Il revoit à la hausse la contribution financière du R-U au titre de ses engagements antérieurs (environ EUR 50 milliards). Pourtant, en juillet dernier le ministre des Affaires étrangères britannique avait assuré que l’UE n’obtiendrait jamais un pareil montant.

– Il prévoit un régime légal spécifique pour les Européens déjà établis au R-U au titre de la libre circulation des personnes (accordant un rôle à la Cour de Justice de l’UE après la sortie effective du R-U). Ceci, alors que plusieurs représentants du gouvernement britannique avaient estimé que le rôle de cette Cour devait se terminer après la sortie.

– Il engage les parties à ne pas rétablir de contrôles douaniers entre l’Irlande du Nord et l’Irlande.

Compte tenu des progrès effectués dans les négociations de sortie (« première phase »), le Conseil européen accepte désormais d’ouvrir des négociations sur les relations futures avec le R-U. Ces négociations seront sans doute plus difficiles que celles liées au divorce. En outre, elles ne commenceront vraisemblablement qu’en mars 2018.

A ce stade, il convient donc de prendre du recul et de dresser un bilan intermédiaire de cette première phase. Ce faisant, il est judicieux de comparer la situation britannique avec celle que la Suisse a connu lors de la saga de la (non-)mise en œuvre de l’initiative « contre l’immigration de masse ». En effet, même si les deux situations sont juridiquement distinctes, la stratégie de négociation britannique s’est basée sur des méthodes similaires à celles utilisées par la Suisse lors de sa tentative de renégociation de l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP). Voici un résumé des cinq méthodes employées par les Britanniques et par les Suisses face à l’UE :

1. La procrastination

Le gouvernement britannique a beaucoup procrastiné après le résultat du référendum in/out du 23 juin 2016. Alors que beaucoup pensaient que le R-U activerait la procédure de sortie durant l’automne 2016, il a fallu attendre mars 2017 pour qu’il se résolve à le faire.
La Suisse a fait la même chose bien que moins longtemps. En effet, elle a attendu plusieurs mois avant de notifier l’UE de son intention de renégocier l’ALCP (juillet 2014).

2. L’excès d’optimisme

Le R-U a entamé les négociations en « extreme opener ». D’entrée, il a cherché à imposer des solutions peu conciliantes. Le but était de laisser entendre que Londres jouissait d’une marge de manœuvre interne limitée. Toutefois, l’UE ne s’est pas laissée prendre au jeu.
La Suisse a elle-aussi cherché à obtenir une renégociation en tant que tel de l’ALCP. Cette demande, issue de l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse, avait pourtant déjà été qualifiée d’inacceptable par la Commission européenne. Sans surprise, cette dernière l’a donc rejetée. La Suisse s’est contentée de « discussions » avec la Commission.

3. La tentative de division de l’UE

Parallèlement à ses négociations avec la Commission, le R-U a tenté de rallier certains Etats membres de l’UE à ses préférences. Ces tentatives n’ont débouché sur aucun résultat tangible. L’UE est restée soudée autour de préférences communes et derrière son négociateur en chef (le seul compétent pour traiter directement avec les Britanniques).
A l’image du R-U, la Suisse s’est essayée à une « diplomatie des capitales européennes ». Le but était d’expliquer la position suisse et de convaincre certains pays membres « amis » des « spécificités » suisses (forte immigration). Cette stratégie a elle-aussi été un échec.

4. Le grand bluff

Devant l’unité obstinée des pays membres de l’UE, plusieurs ministres britanniques ont fait savoir que « pas d’accord [de sortie] serait préférable à un mauvais accord ». Ces propos n’ont guère infléchi la fermeté du négociateur en chef de l’UE.

En 2016, alors que les discussions Suisse-UE patinaient, le Conseil fédéral suisse a estimé que, faute de solution consensuelle avec Bruxelles, la Suisse mettrait en œuvre l’initiative contre l’immigration de masse de manière unilatérale. L’UE ne s’en est guère émue.

5. Le pragmatisme (ou le dur retour à la réalité)

Pressé par le temps (deux ans pour conclure les négociations de sortie à partir de la notification de mars 2017 selon les traités européens) et par une situation de dépendance économique face au marché intérieur de l’UE, le R-U a dû se résoudre à reculer.
La Suisse a connu une situation semblable. Elle aussi était pressée par le temps (trois ans pour renégocier l’ALCP selon le texte de l’initiative). Elle aussi risquait de perdre l’accès au marché intérieur qu’elle possède (en vertu d’une possible activation de la « clause guillotine » qui lie le destin de l’ALCP à celui d’autres accords Suisse-UE). Aussi, le Parlement suisse a reculé et s’est résolu à ne pas véritablement mettre en œuvre l’initiative.

Ce bilan et cette comparaison sont remarquables. Ils démontrent que devant des demandes internes peu réconciliables avec les principes défendus par l’UE, deux gouvernements européens ont adopté des stratégies similaires. Néanmoins, ces dernières n’ont pas permis de contourner l’unité ni d’affaiblir la position de négociation de l’UE. Au final, en fait de négociations, c’est un processus d’ajustement qui a pris place. Tant le R-U que la Suisse se sont ajustés sur les préférences de l’UE.