Des zones de non droits (humains) pour le développement économique?

International Law

Les charter cities honduriennes seront des zones de non droits promues par le gouvernement afin d’attirer les investisseurs étrangers. Elles montrent pourquoi des initiatives telles celles de la campagne Droit Sans Frontières en Suisse sont nécessaires.

 

Le Honduras est sur le point d’expérimenter ce que son Président Juan Orlando Hernandez veut comparer à des zones franches inspirées de Hong Kong ou Singapour. Dans les faits, ces ZEDEs (zones d’emploi et de développement économique) franchissent un pas supplémentaire en cédant aux investisseurs étrangers les trois piliers d’un Etat : sa population, son territoire et sa politique.

En effet, la loi sur les ZEDEs exempt des parcelles de territoire hondurien de la souveraineté et du droit du pays. Elle cède aux entreprises commerciales et aux organisations qui financeront le développement de ces zones, des domaines constitutionnellement reconnus comme relevant de l’Etat : le prélèvement des impôts, le contenu des lois, l’éducation, la sécurité, ainsi que la santé. Ces décisions devront être approuvées uniquement par le « Comité pour l’Adoption des Bonnes Pratiques » (CABP) désigné par le gouvernement hondurien. Or, ce conseil d’administration des ZEDEs est composé de 21 personnalités d’obédience néolibérale dont seulement 4 Honduriens pour 9 Américains (6 ont servi sous le gouvernement Reagan).

Ainsi, la majeure partie de la Constitution hondurienne ne s’appliquera pas aux Honduriens vivant dans ces portions de territoire. Ces derniers n’auront d’ailleurs parfois pas le choix puisque la loi prévoit une consultation populaire seulement dans les zones peuplées de plus de 100’000 habitants. Ainsi, les régions qualifiées de « basse densité de population » ainsi que celles du Golf de Fonseca et de la côte Caraïbe ne nécessiteront pas l’approbation du peuple pour intégrer un régime de ZEDE. C’est d’ailleurs dans ces deux régions que sont pressenties les premières ZEDEs. L’Agence Coréenne de Coopération Internationale (KOICA) a déjà signé un accord avec le gouvernement hondurien en 2013 sur l’établissement d’une ZEDE dans le département de Valle. Les 3 zones d’Amapala, d’Alianza et de Nacaome sont actuellement soumises à un test de préfaisabilité par l’agence coréenne. Les habitants de ces zones craignent donc de se voir déposséder de leurs terres de manière directe ou indirecte. Malgré leur lutte pour obtenir les titres de propriété, la lenteur et la corruption du système hondurien vouent leur démarche à l’échec, ce qui rend les habitants encore plus vulnérables sous la loi ZEDE. En outre, le prélèvement d’impôts élevés pourrait constituer une manière indirecte d’exproprier les paysans.

Une pancarte à Zacate Grande (un des lieux pressentis pour une future ZEDE): “Bienvenue en terres récupérées, zone libre de grands propriétaires” (Photo: Erika Piquero)

En 2012, la Cour Suprême hondurienne avait déclaré inconstitutionnelle la loi relative à la création de l’ancêtre des ZEDEs, les « charter cities » ou « Régions Spéciales de Développement » pour violation à la souveraineté du pays. La réaction du Président du Congrès d’alors, Juan Orlando Hernandez avait été de convoquer le Parlement afin de destituer les 4 juges opposés à la loi, provoquant la vive condamnation de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme. Un peu plus d’un an plus tard, cette fois en tant que Président de la République, ce dernier fera passer une version encore plus poussée de son projet, la loi ZEDE.

La question des effets réels des ZEDEs en termes de développement économique reste ouverte, mais force est de constater que les ZEDEs s’établiront au détriment des droits de l’homme et de l’environnement. Dans le contexte d’une corruption et d’une violence atteignant des sommets mondiaux depuis le coup d’Etat de 2009, ainsi que d’une monopolisation du pouvoir et du développement économique par l’oligarchie hondurienne, l’absence totale de transparence et d’information relative au processus de l’implémentation des ZEDEs face aux populations concernées est alarmante. Il n’est pas nécessaire d’attendre que les ZEDEs voient effectivement le jour pour s’apercevoir qu’elles bafouent le droit international, principalement la Convention Américaine relative aux Droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, des textes contraignants que le Honduras a ratifiés.

Il s’avère donc de la responsabilité de la communauté internationale de veiller à l’application de ces droits. Les entreprises internationales choisissant d’investir dans ces ZEDEs se convertiront en complices de violations du droit international. C’est justement contre de tels abus que le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU a adopté en 2011 les « Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux Droits de l’Homme » ou « Principes Ruggie », du nom du Représentant Spécial chargé de la question des Droits de l’Homme et des sociétés transnationales et autres entreprises qui les a élaborés. Cette déclaration d’intention souligne la responsabilité sociale des entreprises face au respect des Droits de l’homme, mais n’est toutefois pas juridiquement contraignante et aucun mécanisme de contrôle de son application n’a été mis en place.

L’exemple des ZEDEs prouve que l’autorégulation et les initiatives volontaires des multinationales ne suffisent pas. La campagne suisse Droit Sans Frontière vise à l’inscription dans la Constitution helvétique de règles contraignantes pour les multinationales ayant leur siège en Suisse en matière de protection des Droits de l’homme, et ce également dans leurs activités à l’étranger. La codification juridique de la responsabilité sociale des entreprises, ainsi que d’un droit de recours en Suisse pour les victimes de préjudice peuvent constituer un premier palliatif à l’échelle nationale contre des violations des Droits de l’homme. La Suisse peut jouer un rôle de précurseur pour un développement respectueux de ceux-ci.

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