La Suisse aux Etats-Unis : le retour des gnomes (n° I place financière suisse)

Financial place

Von Julien Briguet – Vue de la City, la place financière suisse apparaît aujourd’hui assiégée. Qu’en est-il de la stratégie du Conseil fédéral fixée en 2009 dans le rapport Graber et dont le rapport d’évaluation annuel fut récemment publié ? Est-ce que la place financière suisse est prête à faire face aux bouleversements politiques, économiques et financiers du 21ème siècle ? Ce blog est le premier d’une série visant à jeter un aperçu sur les stratégies de développement de la place financière suisse tout en gardant un œil sur son actualité particulièrement riche depuis 2008.

Dans les années 60, le parti travailliste britannique au pouvoir fustigeait les « sinistres gnomes de Zurich », soit les banques privées. L’expression et son riche contexte sémantique ont récemment connu un retour de fortune à l’étranger et, plus étrangement, en Suisse. Suite à l’affaire Wegelin, les politiques suisses ont réagi fortement et n’ont pas tardé à considérer les « banquiers » comme les sinistres responsables des maux de la place financière suisse. La lecture est intéressante. Le comportement de la banque Wegelin pose certes de nombreuses questions. L’acte d’accusation de 53 pages publié par le ministère public américain reste l’un des documents les plus surprenants de ce début d’année. Au-delà du comportement irresponsable (et au vu des risques légaux et financiers, incompréhensible) des banquiers de Wegelin, la réaction des partis politiques suisses laisse songeur. Et de fustiger le comportement criminel et nuisible des banquiers suisses. Et de citer le rapport Graber comme la solution stratégique au problème de la place financière suisse. Et de constater avec une évidence mal retenue que l’évasion fiscale appartient au passé et que le futur de la place financière suisse est l’argent propre.

Premièrement, la responsabilité des banques mérite d’être nuancée. Ces derniers travaillent dans les conditions-cadres et avec les incitations que le législateur veut bien lui donner. Or, la banque privée suisse est malade. Trop petite, trop chère, trop peu compétitive, elle peine à faire face à la concurrence internationale dans le cadre législatif existant. Les réformes en cours dans le secteur privé (consolidation du secteur bancaire et nouveau modèle d’affaire) en sont des signes suffisants. Dans ce contexte, le risque de répéter les pratiques et erreurs du passé est important. Le cadre législatif existant n’offre pas de véritables alternatives aux banques.

Deuxièmement, le rapport Graber envisage des axes stratégiques possibles en se focalisant sur des conditions-cadres. Il ne développe aucun programme législatif ambitieux visant à renforçant l’attractivité et la compétitivité de secteurs donnés. Cette approche axée sur la régulation encourage le status-quo et bride les innovations législatives permettant d’ouvrir de nouvelles perspectives à la place financière suisse. Dans ce cadre, la perte de l’évasion fiscale comme avantage compétitif de la place financière suisse ne saurait être compensée par la mise en œuvre d’une stratégie essentiellement focalisée sur l’intégrité et l’argent propre.

Troisièmement, l’évasion fiscale n’est pas un outil du passé et aucune convergence internationale n’existe sur ce point. Il s’agit de la fin du modèle suisse d’évasion fiscale, structurellement inapte à lutter contre le modèle anglo-saxon moins sensible politiquement. Seule une transformation du modèle sur lequel opère la place financière suisse pourrait compléter une stratégie de l’argent propre.La récente décision du Conseil fédéral en matière d’argent propre est une manœuvre tactique qui reste problématique dans la mesure où elle ne règle pas les relations d’affaires passées.

La City de Londres a dû attendre la stratégie offensive et le brillant programme de réforme du gouvernement Thatcher à partir de 1980 pour sortir de la torpeur et réduire les gnomes suisses à de véritables nabots conservateurs en marge de l’innovation financière.

Que faudra-t-il pour que le monde politique suisse débâte et envisage une véritable planification du futur de la place financière suisse couplée à une véritable feuille de route offensive focalisée sur les coûts, la compétitivité et la diversification de la place financière?

Julien Briguet est membre du comité du foraus. Il vit à Londres et étudie à la London School of Economics and Political Science (LSE).

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