Lettre ouverte à Michael Reiterer

Europe

Présent depuis 2007 au titre d’ambassadeur de l’Union Européenne (UE) en Suisse, vous manquerez la prochaine rentrée automnale. Votre visage bien connu s’en ira vers d’autres horizons diplomatiques et il est plus que temps de prendre la plume pour vous dire que vous avez représenté l’Europe de belle manière.

Il ne vous aura certainement pas échappé que les compliments ne sont pas chose aisée chez nous autres Confédérés. L’Hebdo titrait ainsi pudiquement en juillet « L’ambassadeur qui sera regretté assez vite». En pleine campagne électorale, inutile d’espérer de longues tirades passionnées. Et pourtant, votre bonhommie et votre sens de la répartie – doublée d’une solide capacité à garder son calme – ont parfois même laissé oublier l’asymétrie des puissances en présence. La Suisse et ses 8 millions d’âmes et l’immense UE, forte de 27 Etats et de 501 millions d’habitants. Je vois bien certains lecteurs sourire en coin en passant à l’actualité peu joyeuse de la zone euro. « Verra bien qui rira le dernier » semble murmurer une sagesse populaire valant cette fois des deux cotés de la Sarine et du Gothard. Mais ne nous y méprenons pas, cette Schadensfreude ne change rien à la réalité des faits.

Et, au-delà du langage diplomatique qui prévaut, les faits brillent d’une aveuglante clarté. Les relations entre l’UE et la Suisse ont besoin d’une « nouvelle dynamique » ; elles sont pleines de « défis ». En d’autres mots : tout est bloqué. Vous avez répété à qui voulait l’entendre que la Suisse et l’UE étaient liées non seulement par des traités bilatéraux, mais surtout par des traités « sectoriels ». Cette distinction d’apparence pointilleuse prend aujourd’hui tout son sens, à l’heure où une résolution de la « question institutionnelle » est devenue condition non-négociable à la poursuite des discussions. Lors de ses nombreux interviews de « départ », Micheline Calmy-Rey a souligné fort à propos que le statu quo (bloqué) des relations Suisse-UE équivalait à une dégradation des conditions cadres pour notre économie. L’Union se développe et, à défaut d’être en mesure d’adapter rapidement la législation, l’accès au marché unique se fait de plus en plus serré. Au cours de la campagne, peu auront tenté de faire prendre conscience de l’importance de cette réflexion.

Ces cinq ans passés en Suisse vous ont-ils rendu plus sceptique face à l’Union ? Votre force de conviction semble à peine émoussée, elle qui vous a permis de faire continuer à vivre un débat européen sous nos latitudes. Il est vrai que le terreau pouvait difficilement être moins fertile. La génération qui combattait aux avant-postes en 1992 lors de la votation sur l’EEE semble encore sous le choc du verdict populaire. Elle ère dans des assemblées politiques désertées, invoquant des idées aussi saugrenues que la paix et la prospérité en Europe. La montée en puissance de l’UDC et de son mentor historique ont définitivement coupé les ponts. Gageons de plus que leur travail de fond portera ses fruits pour de longues années encore. Tombée dans cette marmite du scepticisme européen quand elle était petite, la nouvelle génération semble incapable de penser l’Europe de manière positive. Et si oui, seulement de manière instrumentale, comme objet d’intérêt économique à plus ou moins court terme. Adieu les réflexions sur le « projet européen ».

Au cours de leur histoire, les Confédérés ont prouvé plus d’une fois qu’ils savaient à merveille sentir le vent tourner et manœuvrer en conséquence. Les forces isolationnistes auraient-elles réussi à tuer ce sens politique ? J’en doute et vous envoie cette note d’optimisme en guise d’au-revoir.

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