10 décembre : la politique suisse des droits de l’homme en mouvement

Droit international

De Johan Rochel – A quelques jours de l’élection au Conseil fédéral, la journée mondiale des droits de l’homme offre l’occasion de mettre en perspective la décennie de politique des droits humains de Micheline Calmy-Rey. L’heure est à la redéfinition.

Ce 10 décembre a un goût particulier pour la politique suisse des droits de l’homme. D’une part, cette journée mondiale des droits de l’homme sera la dernière en fonction de Micheline Calmy-Rey. Pour une ministre des affaires étrangères dont l’intérêt pour les droits « humains » ne s’est jamais démenti, la date est particulièrement symbolique. D’autre part, le brassage des cartes au Conseil fédéral et la future succession Calmy-Rey interrogent la pertinence d’une décennie de politique étrangère largement orientée sur et vers les droits de l’homme.

Si l’engagement de la Ministre a été constant, la politique des droits de l’homme continue à avancer à tâtons dans la pratique fédérale, cherchant encore sa place au cœur de notre système juridico-politique. Longtemps présentés comme un outil de première importance pour la politique suisse des droits de l’homme, les dialogues sur les droits humains sont un exemple particulièrement paradigmatique de cette quête de sens. En effet, cet instrument traverse actuellement une profonde phase de redéfinition. Les dialogues bilatéraux que nous entretenions par exemple avec la Chine, le Vietnam ou l’Iran vont être redessinés au profit d’une approche plus globale et cohérente.

Comme le montre l’étude « Dialogue sur les droits humains – Quo vadis ? », présentée en ce 10 décembre par le foraus – Forum de politique étrangère, cette réorientation peut être une chance à plusieurs égards. Outre une communication plus transparente sur les objectifs et les moyens de notre politique des droits de l’homme, ce nouveau départ offre l’opportunité de renforcer notre collaboration avec nos alliés naturels, en première ligne l’UE et d’autres Etats partageant une vision commune sur l’importance des droits de l’homme. En filigrane apparaît également une volonté d’ancrer de manière plus systématique les droits de l’homme dans toutes les questions de politique étrangère.

Une nouvelle donnée essentielle

Cette reconnaissance de l’importance essentielle des droits de l’homme pour notre politique étrangère s’inscrit dans un mouvement de fond. Depuis 1993 – date de publication du premier rapport véritablement stratégique pour la politique étrangère de l’après Guerre froide – on ne saurait assez souligner l’importance systémique qu’ont pris les droits de l’homme dans notre cadre juridique et politique. Les plus enthousiastes n’hésiteraient pas à affirmer que notre univers intellectuel moderne est porté par cette idée de droits fondamentaux accordés à tous sur leur seule qualité d’être humain. Si la pratique est bien sûr loin d’être parfaite, il n’en demeure pas moins une base éthico-juridique solidement implantée. En matière internationale par exemple, il n’est plus guère possible de penser une légitimité dépourvue de respect des droits de l’homme. Les récents développements relatifs à la « responsabilité de protéger » renvoient à cette clef de lecture : la légitimité est devenue indissociable des droits de l’homme. Pour les Etats comme pour les organisations internationales, hors des droits de l’homme, point de salut.

En politique étrangère suisse, cette importance croissante s’étend avant tout de manière transversale. Si la politique des droits humains était il y a eu peu encore l’apanage de nos actions à caractère humanitaire ou l’objet d’interventions spécifiques et ponctuelles, les vieilles barrières historiques tombent peu à peu. Longtemps chasse gardée du business as usual, la politique étrangère économique se jauge aujourd’hui également à l’aune des droits de l’homme. De manière particulièrement paradigmatique, c’est le plus souvent la meilleure manière de mettre en œuvre ces considérations qui pose problème – par exemple l’opportunité d’inclure une clause droits de l’homme dans un accord de libre-échange – mais ce n’est plus la légitimité de la question des droits de l’homme en matière économique.

Poser la question de l’après-Calmy-Rey en terme de poursuite d’une politique des droits de l’homme est donc partiellement faux. Le respect des droits de l’homme s’est installé au cœur de notre politique étrangère et ne saurait en être délogé. A ce titre, le défi de la succession Calmy-Rey pourrait bien être de renforcer la cohérence pratique de cette nouvelle donne.

Johan Rochel, vice-président du foraus – Forum de politique étrangère
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