Par la petite porte ? La participation de la Suisse dans les agences de l’UE

Europe

Onze. C’est le nombre d’agences de l’Union européenne (UE) dans lesquelles la Suisse est impliquée, alors même qu’elle n’en est pas membre. Entre marginalisation institutionnelle ou adhésion en bloc à l’UE, il subsiste un espace de participation pour la Suisse dans le paysage naissant des organismes réglementaires paneuropéens.

Une intégration surprenante ?

Les processus d’intégration des Etats-membres de l’UE ont aujourd’hui atteint un niveau de complexité inégalé. Comment, en effet, faire converger 28 législations nationales, des priorités politiques différentes, les intérêts hétérogènes d’une multitude d’acteurs, le tout dans un environnement compétitif où institutions européennes et Etats-membres veillent jalousement sur le pré carré de leurs prérogatives ? Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que des agences – des structures intermédiaires rassemblant tous les acteurs-clés dans un domaine précis – aient vu le jour. De la protection des frontières (FRONTEX) au contrôle des produits chimiques (ECHA) en passant par l’égalité homme-femme (EIGE), une quarantaine d’agences soutiennent aujourd’hui l’élaboration et l’exécution de la législation européenne.

Dès lors, il est d’autant plus surprenant que ces agences, au rôle limité et de nature technique, incluent en leur sein des délégués d’Etats non-membres. Une recherche effectuée en 2016 montre de plus que cette participation n’est pas négligeable1; en tout, 103 cas de participation permanente, en provenance de 15 Etats non-membres aussi variés que l’Islande ou l’Azerbaïdjan, ont été recensés dans un total de 25 agences. Comme le montre l’illustration ci-dessus, la Suisse participe dans onze agences et se classe au 4ème rang des non-membres les plus impliqués (après ses partenaires de l’AELE).

Ces différents engagements helvétiques au sein de l’architecture institutionnelle européenne témoignent du fossé entre la rhétorique et les grands dogmes d’une part, et les principes de réalité et pragmatisme de l’autre. Alors que, sur la grande scène médiatique, l’UE et la Suisse se toisent depuis des positions irréconciliables – pas de participation sans adhésion pour la première, pas question d’une intégration supranationale pour la seconde – les coulisses bruissent d’une myriade de discussions et d’exemples de coopération. C’est que les enjeux de nature globale auxquels les Etats sont confrontés, comme la lutte contre le terrorisme ou encore le changement climatique, ne peuvent guère être résolus seuls. Comme ni l’Union ni la Suisse n’ont intérêt à s’isoler ou à exclure l’autre, des convergences politiques et juridiques en viennent à se réaliser dans des domaines précis, en particulier lorsque les problématiques sont de nature transnationale ou globale.

Limites et perspectives

Cette perméabilité a néanmoins ses limites. Soucieuse de maintenir son intégrité juridique et les avantages comparatifs de l’adhésion, l’UE n’accorde pas le droit de vote aux représentants des Etats non-membres. Ce déficit démocratique manifeste ne doit pourtant pas faire oublier la participation à la phase d’élaboration (policy shaping), ni le fait que la Suisse aurait repris dans sa législation, dans de nombreux cas, des éléments de la législation européenne sans même pouvoir y contribuer 2. En ce sens, la participation de la Suisse à des agences de l’UE constitue un atout puisqu’elle lui permet, dans les domaines de son choix, d’accroître son influence dans l’élaboration de règles communes et de bénéficier d’un accès à des informations de première main, sans devoir pour autant subir les coûts d’une adhésion complète.

La participation de la Suisse dans les agences de l’UE va probablement s’intensifier à l’avenir. La Suisse a notamment manifesté son intérêt pour la prévention des épidémies (ECDC) et la commercialisation des médicaments (EMA)3. Longtemps gelées en raison du grand feuilleton politique sur la libre circulation des personnes, les négociations ont récemment repris entre Berne et Bruxelles et englobent, dans l’ombre du tumultueux accord institutionnel, diverses discussions sur les futurs domaines de coopération entre l’Union et la Confédération. Ces prochaines années nous révéleront si ces faisceaux épars de coopération conserveront leur caractère ad hoc ou s’ils ont vocation à être ficelés en une approche systématique de la Suisse vis-à-vis de son européanisation.

L’auteur souhaite remercier Emilie Singer et Cenni Najy pour leur relecture et leurs commentaires avisés.
L’étude est disponible directement auprès de l’auteur.
cf. Jenni, S. (2014). “Europeanization of Swiss Law-Making: Empirics and Rhetoric are Drifting Apart”. SPSR 20(2).
3 cf. de Tscharner, B. (2016). Suisse-Europe: Portrait d’une relation complexe. Beub-Print