A table ! Ou comment redonner sens à une culture du débat politique

Migration

Depuis cet été, le think-tank foraus parcourt la Suisse pour débattre de politique d’immigration. Le nouveau format “PoliTisch” s’inscrit dans la tradition d’une culture politique où le repas pris en commun permet de développer des visions et créer des ponts.

 

Imaginez une table préparée pour une quinzaine de convives. L’hôte s’active dans la salle à manger en vérifiant les derniers détails. Dans quelques minutes, ses invités arriveront pour une soirée particulière : un débat citoyen. Le sujet du jour porte sur les réalités migratoires du pays et les réponses à apporter aux défis de la mobilité. Tout est fin prêt et la « PoliTisch » peut commencer, cette table commune de politique, nouveau lieu d’une démocratie suisse sans cesse en train de se réinventer.

La « PoliTisch » est l’enfant de son temps. Elle s’inscrit dans un débat public sur les questions de migration dont le climat est pesant. Même si la Suisse est le pays de l’OCDE qui profite le plus de la mobilité internationale, cette mobilité est perçue comme un problème et une menace, avant d’être reconnue comme une simple réalité. Dans une étude récente, le géographe Michael Hermann a montré que les facteurs objectifs tel que le nombre de migrants, la proximité avec la frontière ou la densité de population ne jouaient pas un rôle essentiel dans les décisions populaires. A l’inverse, celles-ci s’expliquent par l’attitude fondamentale qu’entretient chacun vis-à-vis de l’Autre. Chacun d’entre nous a développé, au cours de ses expériences de vie et au contact du débat public, un rapport particulier à la présence de cet Autre. Comme l’explique Michael Hermann, ce rapport se construit et se développe dans une certaine ambiance de société, à la fois cause et résultat de la manière dont nous débattons collectivement des défis de la mobilité.

Besoin de nouveaux outils

Prenant acte, il importe de dépasser un discours exclusivement axé sur les statistiques, textes de lois et autres mesures d’accompagnement. Ces éléments sont essentiels, car ils recouvrent un besoin d’informations objectives. Mais l’objectif ne peut être celui de simplement informer. Les informations abondent, mais elles ne parviennent bien souvent pas jusqu’à nous. Il ne s’agit pas de paresse de notre part, mais d’incompatibilités, parfois profondes, entre les intuitions que notre rapport à l’Autre nous livre et ces informations objectives. « Pas de crise de l’asile en Suisse ? Mais bien sûr, on le lit partout ! » Le mot-clef s’appelle « contexte » et c’est lui qui va nous permettre d’avoir une vision plus nuancée et plus précise des réalités. Ce contexte ne tombe pas du ciel. Nous devons le développer grâce à un véritable débat de société. Pour ce faire, de nouveaux outils sont nécessaires. Répondant à ce besoin de plateformes innovantes de débats, la « PoliTisch » offre un instrument de première qualité pour nous permettre, collectivement, d’appréhender ce contexte et de rendre compte des réalités migratoires de notre pays.

Cette ambition s’inscrit à merveille dans une tradition toute helvétique du débat de proximité. La politique suisse est profondément locale : elle se construit et se joue avec des acteurs de proximité. Lorsqu’ils existent, les mouvements nationaux sont compris et appréhendés selon des prismes régionaux. Le terme de « PoliTisch » porte en lui cette conviction : le débat porteur de sens et de solutions se construit autour de la table d’un hôte. La « Tisch » est au cœur du concept. Parce qu’il accueille des gens d’horizons différents directement chez lui, cet hôte répète le geste essentiel de l’hospitalité. Il ouvre son salon et sa cuisine à des inconnus et les invite à partager un repas. Le geste est fort, la confiance établie, l’invitation se fait prélude à une discussion respectueuse. L’ambiance est à l’opposé des talk-shows politiques, ces lieux médiatiques où la confrontation l’emporte sur la construction, l’animosité sur le respect.

Parler « avec » plutôt que « sur » les migrants

En plus du rôle essentiel de l’hôte, le format « PoliTisch » vit de la diversité des participants. Des représentants d’horizons professionnels très différents se côtoient autour de la table, parfois pour la première fois. Economie, politique, culture, sport, société civile, diplomatie : tous apportent leur regard propre sur la réalité migratoire qu’ils connaissent, permettant ainsi d’éclairer les multiples facettes de cette mobilité. De plus, la « PoliTisch » intègre les personnes les plus directement concernées par ces débats : les migrants, eux qui sont souvent les grands oubliés des débats politiques. En effet, pourquoi s’intéresser à des gens qui ne peuvent pas voter et qui sont institutionnellement réduits au silence? La « PoliTisch » prend cette logique à rebours et réunit autour d’un repas les personnes amenant le plus de connaissances. Qui peut mieux témoigner de la réalité du système d’asile qu’un ancien réfugié sri-lankais ? Qui peut mieux parler des opportunités que représentent les transferts d’argent vers les pays d’origine qu’un représentant de la diaspora albanophone ? Qui ressent au plus proche un climat délétère sur les étrangers qu’une personne sans passeport à croix blanche ? La « PoliTisch » amène tous les habitants du pays autour d’une table : l’égalité des participants au projet « Suisse » y est célébrée et l’avis de chacun est dûment écouté.

Les « PoliTisch » sont une réalité : nous en ferons une vingtaine jusqu’à la fin de l’année. Du Valais à la Thurgovie, nous convierons des hôtes et des invités à se réunir autour d’une table commune pour débattre des réalités migratoires. Notre vision est ambitieuse : l’année prochaine, nous rêvons de plusieurs « PoliTisch » par semaine, animant les régions du pays comme autant de petits foyers de culture politique suisse. En serez-vous ?