Contribution d’opinion: La place scientifique suisse, un enjeu politique majeur

Science & Tech

En 2022, la Suisse s’est classée pour la douzième année
consécutive en tête de l’Indice mondial de l’innovation de
l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Les raisons
de ce succès sont connues: la qualité du système de recherche et
de formation suisse grâce à l’investissement continu dans le
domaine de la formation, de la recherche et de l’innovation (FRI)
depuis plus d’un siècle et à la forte interconnexion internationale
de nos hautes écoles. On pense notamment à l’échange de
talents entre les hautes écoles suisses et les partenaires à
l’étranger, ou à l’utilisation internationale des infrastructures de
recherche suisse comme l’Institut Paul Scherrer.

Or, cette «interconnexion internationale» ne bénéficie pas du
soutien politique nécessaire pour encourager une coopération
avec les meilleurs cerveaux, où qu’ils soient. La place
académique et scientifique suisse subit les conséquences de
l’impasse des relations Suisse-Union européenne. Sans solution
sur la question institutionnelle, impossible de s’associer à des
programmes européens cruciaux pour nos hautes écoles,
comme Horizon Europe, Digital Europe, ou encore Erasmus+.
Des solutions transitoires évitent l’isolement total de la Suisse et
minimisent les pertes financières: que ce soit le «back-up
scheme» du Fonds national suisse de la recherche pour les
bourses du Conseil européen de la recherche, la possibilité de
participer à des projets de recherche avec un financement direct
de la Confédération, ou le Swiss-European Mobility Programme
pour l’échange d’étudiant·e·s. Mais les pertes non quantifiables
(perte de l’effet de compétition, moins d’opportunités d’échange,
exclusion de domaines stratégiques) se font déjà ressentir. A
terme, la place académique suisse risque de perdre en
performance et en attractivité.

Autre question d’actualité: avec qui peut-on coopérer? Nos
hautes écoles devraient-elles poursuivre leur coopération avec
des institutions de pays qui ne partagent pas nos valeurs et
principes fondamentaux? Selon l’Academic Freedom Index
(Update 2023), la liberté académique a reculé ces dix dernières
années pour plus de 50% de la population mondiale. En Hongrie
par exemple, le contrôle croissant exercé par le gouvernement
Orban sur les universités nuit fortement à la liberté académique

Aux Etats-Unis aussi, la situation s’est dégradée. Enfin, l’exemple
de la Chine suscite de vifs débats dans les milieux académiques.
La liberté académique y est certes garantie par l’article 47 de la
Constitution, mais la réalité du terrain est tout autre. Et qu’en
est-il des risques liés à l’espionnage ou encore à la protection des
données? Le manque de clarté de la nouvelle loi sur la sécurité
des données introduite en 2021 représente un véritable défi
pour les acteurs du système de recherche suisse.
Certes, des ressources ont été développées au niveau national
pour soutenir les hautes écoles dans leurs coopérations
internationales. Reste qu’elles auraient besoin d’un réel soutien
pour évaluer les risques et enjeux liés à certaines coopérations. Il
faudrait réfléchir sérieusement à la mise en place d’un point de
contact national tel que le National Knowledge Security Contact
Point aux Pays-Bas, qui soutient les acteurs FRI néerlandais pour
évaluer les opportunités, risques et questions pratiques
concernant leurs coopérations internationales.

Pour maintenir sa forte «interconnexion internationale», la place
académique et scientifique suisse a besoin du soutien de la
politique. Il s’agit de recevoir tout le soutien nécessaire pour
évaluer les risques de certaines coopérations et de regagner
aussi vite que possible l’accès à Horizon Europe et à d’autres
programmes européens. L’accord politique pour la participation
à Horizon Europe auquel est parvenu Londres ces dernières
semaines montre bien qu’il est possible de négocier avec l’UE. Ce,
afin de maintenir de façon responsable les connexions
internationales pertinentes pour la Suisse et l’avancée de la
science.

Vers l’article original dans Le Temps