Diasporas: Un rôle particulier dans la collaboration Suisse-Afrique

Diplomatie & internationale Akteure

Les rapports entre la Suisse et les pays du continent africain sont particulièrement complexes et riches. Commerce, aide au développement ou encore assistance humanitaire sont les axes de cette coopération qui sont les plus souvent cités.
La Suisse étant un pays multiculturel, on peut dès lors se demander quel rôle jouent, dans cette relation, les diasporas africaines établies sur le sol helvétique.

de Jean-David Pantet Tshibamba

Cette question est d’autant plus pertinente dans un monde en mouvement constant, qui se caractérise de plus en plus par les flux économiques, culturels et humains qui le parcourent, et où les diasporas semblent être amenées à jouer un rôle croissant dans les relations internationales.

Le continent africain, notamment caractérisé par ses taux de croissance élevés et son dynamisme démographique, est l’un des théâtres de cette redéfinition progressive des rapports internationaux caractérisée par l’intensification des flux. À ce titre, l’Union Africaine (UA) reconnaît officiellement, depuis 2003, la “Diaspora africaine” comme l’un des acteurs du développement et de la construction régionale. En outre, l’organisation matérialise cette volonté d’inclusion à travers l’un de ses organes : le “Citizens and Diaspora Organizations Directorate” (CIDO).

Les diasporas afro-descendantes, établies aux quatre coins du globe, ont notamment prouvé leur dynamisme dans de multiples domaines, on peut en outre citer :

L’aide humanitaire : en plus des envois de rémittences, qui, bien que parfois controversés, voir décriés pour certains effets délétères constatés sur les économies locales des pays concernés, évitent une certaine précarité à des millions de foyers africains, les diasporas s’engagent aussi activement lors des différentes crises humanitaires qui touchent le continent.

Les processus de peacebuilding : les diasporas africaines se sont démarquées à plusieurs reprises par leur implication dans divers processus de peacebuilding, notamment au Nigeria, en Gambie ou encore en Somalie.

Le financement : divers états africains, tels que l’Ethiopie, le Kenya ou encore le Nigeria, se sont appuyés sur leur diaspora pour aider au financement de différents projets d’infrastructure, via des “Diaspora bonds”, c’est-à-dire des titres obligataires destinés spécifiquement aux diasporas.

Il est probable que cette tendance s’intensifie, au fur et à mesure que les phénomènes diasporiques, notamment dû aux mouvements de population, prendront de l’ampleur et que le continent africain s’affirmera comme un agrégat politique, économique et culturel avec lequel il faudra compter sur la scène internationale.

Il semble dès lors pertinent de rappeler que la Suisse peut avoir un rôle clé à jouer dans un tel contexte international, puisqu’elle cultive une longue tradition diplomatique, tout en jouissant d’une grande diversité culturelle, notamment incarnée par la présence des multiples communautés afro-descendantes qui y sont installées.

On peut ainsi supposer que la Confédération gagnerait à s’appuyer davantage sur sa propre diversité culturelle pour consolider son statut de hub des relations internationales et réaffirmer sa position d’acteur privilégié de la haute diplomatie. Une telle ambition ne peut toutefois s’appuyer que sur l’entretien de liens dynamiques, sains et durables, entre les institutions étatiques suisses et les différents organismes représentatifs des communautés afro-descendantes.

Tout l’enjeu réside, dès lors, dans l’intégration desdites communautés au tissu institutionnel helvétique. Néanmoins, ceci nécessite au préalable le développement de relations de confiance. Ces liens ne sont actuellement pas au point mort, puisqu’il existe, au niveau fédéral, mais également dans certains cantons, des organismes chargés d’étudier les questions d’intégration et de créer du lien entre les institutions et les communautés immigrées, tels que la Commission fédérale des migrations CFM, ou encore, dans le Canton de Vaud, la Chambre cantonale consultative des immigrés (CCCI). Toutefois, une collaboration soutenue nécessitera, au préalable, une volonté politique beaucoup plus affirmée quant à la prise en considération de différentes questions :

Discriminations : plusieurs études et rapports indiquent que les populations issues de l’immigration, notamment afro-descendante, sont, en Suisse, confrontées à de fortes discriminations structurelles. À ce titre, un groupe d’experts de l’ONU a récemment publié un rapport dénonçant l’existence d’un racisme systémique à l’encontre des populations afro-descendantes établies en Suisse.

Activités des entreprises suisses à l’étranger : plusieurs ONGs, telles que Public Eye ou Action de Carême, ont à plusieurs occasions accusé divers groupes suisses opérant notamment en Afrique subsaharienne d’avoir régulièrement recours à des pratiques frauduleuses dans le cadre de leurs activités à l’étranger. Le récent revers de “l’initiative pour des multinationales responsables”, pourtant soutenue par nombre de communautés afro-descendantes et plusieurs associations respectives qui se sentaient directement concernées par l’objet de la votation, a envoyé un signal
négatif quant à l’engagement institutionnel de la Suisse en faveur d’une gestion plus transparente des activités de ses entreprises à l’étranger.

Ainsi, les rapports contemporains entre la Suisse et le continent africain sont, de par la largeur du spectre qu’ils couvrent, un objet du champ des relations internationales particulièrement riche à analyser. Si le commerce, l’assistance humanitaire et l’aide au développement en sont les aspects les plus régulièrement mis en avant par les pouvoirs publics, les pratiques ambiguës de certaines entreprises helvétiques sur le sol africain suscitent régulièrement la controverse et les protestations de diverses ONGs. Dans ce contexte, le rôle des diasporas afro-descendantes établies en Suisse est encore mal défini, bien que ces dernières aient le potentiel pour devenir la pierre angulaire d’un renouveau et d’une redynamisation des relations. Encore faut-il qu’il y ait, de part et d’autre, une volonté affirmée d’exploiter pleinement ce potentiel.