Droits humains vs. attractivité économique ? Preuves et interprétations tendancieuses

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Une régulation contraignante en matière de droits humains signifie-t-elle vraiment une perte d’attractivité pour la Suisse ? La relation de cause à effet est loin d’être établie. Au vu des évolutions vers des cadres règlementaires contraignants en la matière dans de nombreux pays, il est par contre certain que la place économique a un intérêt stratégique et réputationnel à ne pas se contenter de mesures volontaires.

L’initiative pour des multinationales responsables sera sans doute soumise en votation populaire en 2019. Outre les questions du caractère volontaire des mesures prises par les entreprises et de l’extra-territorialité du devoir de diligence, le lien entre attractivité de la place économique et respect des droits humains est au cœur du débat. En effet, la retenue face à l’adoption de mesures contraignantes s’explique en partie par le risque que celles-ci nuisent à la compétitivité économique de la Suisse. Est-ce vraiment le cas ? L’acceptation de l’initiative réduirait-elle l’attractivité de la Suisse ?La relation de cause à effet n’est pas si simple. Il est clair que la compétition globale pour attirer des investissements s’avère féroce et pousse les Etats à adopter des mesures complaisantes pour les entreprises. Deux exemples peuvent nous en convaincre : la réforme fiscale américainequi réduit l’impôt sur les sociétés et institue le passage à un système territorial qui n’impose plus les bénéfices réalisés à l’étranger ; l’impact du Brexit sur la concurrence que se livrent les places économiques et financières en Europe. Dans ce contexte, même UBS explique que sa présence en Suisse n’est pas garantie si les conditions-cadres ne devaient plus répondre à leurs critères de rentabilité.

 

Corrélation tendancieuse

Dès lors, il est tentant recommander aux citoyens suisses de rejeter l’initiative pour des multinationales responsables au motif qu’elle pourrait déplaire aux entreprises. Cependant, toute mesure contraignante pour les firmes ne nuit pas forcément à la compétitivité de la Suisse. D’une part, les entreprises actives globalement agissent de facto dans des environnements très régulés. D’autre part, l’attractivité est multidimensionnelle, comme en témoignent les rapports et classements de sociétés de conseil. Fiscalité, qualité de la main d’œuvre, développement des infrastructures, présence d’un cluster, soutien à l’innovation, stabilité politique, la liste des critères pris en compte dans une décision d’implantation est longue et complexe.

La réputation du lieu d’implantation tend de plus en plus à être considérée comme un facteur d’attractivité en soi. En résultent des campagnes de promotion économique s’appuyant sur la valeur du made in et l’image du pays d’origine. Le respect de standards élevés en matière de durabilité et de respect des droits de l’homme contribue au succès de telles stratégies de nation branding.

 

Vers des cadres réglementaires contraignants

Dans le débat suisse, des signaux indiquent une prise de conscience de certaines entreprises face au risque réputationnel d’opérer dans un environnement sans règle contraignante en matière d’environnement et de droits humaines. Le Groupement des Entreprises Multinationales (GEM) soutient par exemple un contre-projet pragmatique à l’initiative pour des multinationales responsables. John Ruggie, à l’origine des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de l’ONU, regrette que le Conseil fédéral ne propose pas de contre-projet, insistant sur l’importance pour la marque « Suisse » d’intégrer dans la législation nationale des exigences en termes de respect des droits humains pour les entreprises.

La situation actuelle fait écho à un sujet qui a passablement ébranlé le pays ces dix dernières années : la fin du secret bancaire. La place financière suisse n’aurait-elle pas eu intérêt à anticiper la fin du secret bancaire en misant plus tôt sur l’excellence de son savoir-faire bancaire ? Nous n’avons certes pas la preuve que les banques n’auraient pas fini par volontairement adopter des critères moraux dans leurs pratiques d’optimisation fiscale, mais nous avons la démonstration que les places financières qui anticipent les règles établies au niveau international (échange automatique de renseignementsprojet BEPS de l’OCDE ) ont un avantage concurrentiel.

Alors que le contexte international évolue rapidement vers des mesures contraignantes, comme nous le montrent les exemples des Pays-Bas, de la France, de la Californie, du Canada et du Royaume-Uni, est-il vraiment stratégique de se contenter de mesures volontaires en attendant des pressions externes ?

 

L’importance de la réputation sur le long terme

Ainsi, l’argument de la potentielle perte d’attractivité induite par l’initiative pour des multinationales manque de preuves empiriques et traduit une vision limitée du développement économique de la Suisse. Même si les pourfendeurs de cette initiative arrivaient à démontrer une certaine perte d’attractivité sur le court terme, il s’agirait de prouver qu’elle est supérieure au potentiel gain en termes de réputation de la place économique sur le long terme.