La carte postale estivale du foraus

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La Suisse politique vit une période estivale étrange. Après quelques semaines d’analyses frénétiques post-Brexit, le débat européen semble être retombé dans sa léthargie. Une grande partie des politiques continuent à invoquer une mise en œuvre de l’art. 121 a de la Constitution « respectant » l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP). Pour ce faire, une préférence indigène aux contours flous est présentée comme le nouveau remède miracle. De son côté, le dossier de l’accord-cadre attend sagement son tour – viendra-t-il seulement un jour ? Pendant ce temps, Christoph Blocher tente d’occuper le terrain en invoquant la vieille lune de « l’adhésion rampante à l’UE » et ce, alors même que la Suisse a officiellement retiré sa demande d’adhésion. Confortablement installés sur leur transat, les décideurs politiques semblent avoir adopté la stratégie prônée par l’ancienne conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey : « wait and see ».

Par le biais de cette carte postale estivale, le think-tank foraus – Forum de politique étrangère souhaite rompre ce silence grâce aux contributions de ses experts.

 

Les changements imposés par le Brexit

Après une période d’incertitudes, le Brexit déploie des conséquences toujours plus claires pour la Suisse et ses différentes négociations à Bruxelles.

Malgré des premiers signaux contradictoires, il est aujourd’hui clair que les discussions de mise en œuvre consensuelle de l’art. 121 a de la Constitution ne progressent pas. Les négociations formelles n’ont jamais commencé, et ce sont maintenant les discussions informelles qui sont rétrogradées au rang de « discussions techniques ». Le Conseil fédéral a profité d’un voyage en Mongolie pour que le président Johann Schneider-Ammann rencontre Jean-Claude Junker. Le communiqué de presse du Conseil fédéral énonce le résultat de cette entrevue en des termes peu ambigus : « Les deux interlocuteurs ont constaté que l’issue du scrutin sur le « Brexit » qui a été organisé au Royaume-Uni rendait plus difficile la recherche d’une solution dans les délais fixés par la Constitution. » Ce « camouflet d’Oulan-Bator » n’est bien sûr pas un message d’inimitié à l’égard des Suisses. Il s’agit plutôt de l’expression d’un nouveau front de négociations britannique qui absorbe l’énergie politique de la Commission et des Etats-membres. Cette rencontre a l’avantage d’amener de la clarté quant à l’opportunité d’une solution consensuelle. A ce stade, cette opportunité n’existe pas et rien n’indique qu’elle puisse se matérialiser plus tard.

Cette fin de non-recevoir marque un tournant pour la politique choisie pour l’heure par le Conseil fédéral : le fameux « plan A » est mort. Ne reste pour le Conseil fédéral qu’à trouver une belle occasion pour un enterrement en bonne et due forme – la récente interview de Jacques de Watteville dans la presse dominicale alémanique semble préparer cette cérémonie. Pour rappel, le plan A visait une interprétation commune d’une disposition de l’ALCP pour tenter de permettre à la Suisse de mettre en place un système de contingents. Tant pour des raisons de timing politique post-Brexit que pour des raisons de stratégie dans les négociations qui vont débuter avec Londres, cette option s’est refermée pour longtemps.

Deux plans « B » à disposition

Aujourd’hui, les Suisses prennent conscience qu’ils doivent régler eux-mêmes cette situation. Dès lors, deux plans « B » s’offrent à eux. Premièrement, la Suisse peut chercher des solutions unilatérales. Ces solutions vont de l’activation d’une clause de sauvegarde à la mise en place de systèmes de préférence indigène. Ces options constituent une violation de l’ALCP pourtant signé, ratifié et dûment appliqué par la Suisse et l’UE.

En outre, elles déboucheraient – selon leur degré de violation – sur quatre catégories de problèmes distincts :

–       En tant que partenaire lésé, l’UE pourrait mettre en œuvre des mesures de rétorsion. Le 9 février et les conséquences pour la place scientifique suisse (exclusion partielle du programme Horizon 2020) ont montré que l’UE était prête à faire des sacrifices pour assurer le respect de la libre circulation des personnes, l’un des piliers de la construction européenne.

–       L’UE pourrait choisir de dénoncer l’ALCP et avec lui les accords bilatéraux I qui permettent à la Suisse d’accéder en grande partie marché européen sur un pied d’égalité avec ses concurrents. L’UE n’a pas d’intérêts immédiats à cette dénonciation. Cependant, elle pourrait s’y résoudre pour assurer la cohérence de son message et renforcer indirectement sa position de négociation face aux Britanniques.

–       Les négociations sur l’accord-cadre (lui-même condition à la conclusion de nouveaux accords d’accès au marché) pourraient être suspendues ou bloquées jusqu’à la conclusion d’un compromis sur la question de la libre-circulation. La Suisse serait alors lentement marginalisée face à ses concurrents européens.

–       Un affaiblissement transversal menace la position de négociation de la Suisse. En violant ses propres engagements, la Suisse endosse le rôle d’un Etat peu fiable dans les yeux de ses partenaires internationaux.

Le deuxième plan « B » consiste à reconnaitre qu’une partie des citoyens suisses ont souhaité deux choses contradictoires : l’introduction de contingents et de la préférence nationale (acceptée le 9 février 2014) et l’ALCP (accepté, et confirmé lors de plusieurs votations). En prenant acte de l’incompatibilité entre ces deux objectifs, il faut alors donner aux citoyens l’occasion de clarifier leurs priorités. Par un nouveau vote, ces derniers auront la possibilité de faire un choix clair et transparent : soit les contingents et la préférence indigène, soit l’ALCP et la poursuite de la voie bilatérale. Une fois que le principe d’un vote de clarification sera accepté, il restera à résoudre la question de l’énoncé et le niveau adéquat d’action politique (loi d’application ou modification constitutionnelle).

Au niveau constitutionnel, l’initiative RASA (« Raus aus der Sackgasse ») propose une clarification sous forme de retour à l’état pré-9 février 2014. L’art. 121a serait tout simplement tracé de la Constitution.

Au niveau législatif, le Conseil fédéral propose une loi d’application mettant en œuvre une clause de sauvegarde. Suivant l’évolution des travaux parlementaires, cette loi d’application pourra être plus ou moins stricte sur certaines catégories de permis. La question essentielle reste néanmoins celle du contingentement des ressortissants européens et de l’introduction d’une préférence indigène, tous deux en violation de l’ALCP.

Un vote sur la loi d’application par le biais d’un referendum aurait le désavantage de ne pas clarifier suffisamment la situation. La Constitution resterait en contradiction avec les engagements internationaux de la Suisse. En outre, la contradiction entre les différents choix des citoyens ne serait pas définitivement levée. Bien évidemment, si la loi d’application était acceptée, cette décision pourrait être interprétée comme une confirmation de la priorité accordée aux accords bilatéraux. Néanmoins, une décision constitutionnelle comme celle du 9 février devrait être arbitrée par une autre décision constitutionnelle, et non par un vote sur une loi d’application.

 

Les solutions proposées par les experts du foraus

1.   La feuille de route de la concordance

Afin de permettre un vote de clarification de niveau constitutionnel, les auteurs du foraus, Maximilian Stern, Tobias Naef et Nicola Forster ont proposé un « article de concordance » en guise de contre-projet direct à l’initiative RASA. Ce dernier remplit 3 objectifs : 1) faire émerger un compromis raisonnable sur deux des plus importants dossiers politiques de la Suisse – les politiques migratoires européennes, 2) établir une base constitutionnelle solide pour la politique migratoire et les mesures d’accompagnement et 3) mettre fin à l’incertitude juridique actuelle. L’article de concordance défend l’idée que la Suisse peut gérer l’immigration de manière autonome en prenant en compte ses intérêts économiques globaux. Dans ce but, la Suisse peut choisir de conclure des accords de libre circulation prévoyant une gestion de l’immigration en fonction de critères de marché. Cet article de concordance montre clairement que de tels accords ne signifieraient pas une immigration sans condition.

Lire l’énoncé de l’article de concordance

Certes, l’option d’un nouveau vote n’est pas exempte de dangers. Premièrement, un vote de clarification a pour mission principale de trancher. Cette décision peut donc être lourde de conséquences. Deuxièmement, la campagne pour une telle votation serait certainement accompagnée de tensions politiques internes. Ceci dit, il en va de la crédibilité du système de démocratie directe.

Selon les experts du foraus, l’option d’un nouveau vote apparaît comme le choix le plus cohérent et le plus responsable suite à la fin de non-recevoir de la Commission européenne post-Brexit. Les autorités suisses sont seules pour régler une incohérence que ses citoyens ont créée par leur choix souverain. Mettre fin à cette incohérence relève de leur seule responsabilité. Afin d’offrir aux citoyens cette occasion de clarification, les auteurs du foraus encouragent le Parlement et le Conseil fédéral à emprunter la voie d’un contre-projet direct à l’initiative RASA.

Feuille de route de concordance

·       12 août 2016 : dépôt de l’initiative « le droit suisse au lieu des juges étrangers » qui, si elle était acceptée, enterrerait le futur accord cadre entre la Suisse et l’UE

·       31 août-2 septembre 2016 : séance de la Commission des institutions politiques du Conseil national (débat sur l’opportunité d’un contre-projet à RASA)

·       12-30 septembre 2016 : session du Parlement fédéral

·       27 octobre 2016 : délai pour le message du Conseil fédéral sur l’initiative RASA

·       28 novembre – 16 décembre 2016 : session du Parlement fédéral

·       31 Décembre 2016 : délai pour préserver la participation suisse à Horizon 2020

·       12 février, 21 mai, 24 septembre 2017 : dates possibles pour une votation populaire

 

2.   Une association à l’Europe

Afin de mener de manière constructive le débat que ce vote de clarification exige, le vice-président du foraus Johan Rochel relève l’importance d’un cadre de discussion propice à la recherche de solutions. Ce cadre de discussion s’ancre dans la réalité des relations entre la Suisse et l’UE.

Selon l’auteur, la Suisse ne veut pas être un Etat-tiers comme Israël, la Thaïlande ou le Canada. Elle souhaite être un partenaire privilégié de l’Union européenne. En d’autres termes, la question principale que nous devons poser est la suivante : comment la Suisse pourrait-elle s’associer de manière intelligente au projet européen ?

La Suisse et l’UE ont des objectifs similaires : commercer le plus librement possible, assurer une prospérité commune et protéger leurs citoyens face aux défis globaux actuels. L’UE est aujourd’hui forte de 27 Etats-membres et de 450 millions de citoyens qu’il importe de comprendre en tant qu’ « associé » et non en tant qu’adversaire ou simple client pour nos produits d’exportation. De son côté, l’UE perçoit depuis longtemps la Suisse comme un associé spécial et privilégié. Chacun des associés poursuit ses intérêts dans un environnement stable et fonctionnel. De par leur proximité géographique, leur histoire commune et leurs valeurs partagées, l’UE et la Suisse sont des partenaires privilégiés pour promouvoir un projet politique commun face aux réalités d’un monde global.

 

Pour plus d’informations :

Johan Rochel johan.rochel@foraus.ch / 076 548 87 31

Cenni Najy cenni.najy@foraus.ch  / 076 329 19 10

Nicola Forster nicola.forster@foraus.ch / 079 299 51 81