« L’ONU est bien loin d’être obsolète », Interview de Mirko Manzoni

Pour célébrer le 75ème anniversaire de l’ONU, cinfo s’associe à l’Association Suisse-ONU (ASNU) et au forausblog en publiant une série d’articles sur les voix suisses du multilatéralisme. Au travers d’interviews réalisées par de jeunes auteurs, cinfo entend ainsi donner la parole aux Suisses et Suissesses travaillant en contact avec le monde onusien. Ce mois-ci, nous rencontrons Mirko Manzoni, envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU pour le Mozambique et ambassadeur suisse. 

Interview conduite par l’Association Suisse-ONU (ASNU)

ASNU : Comment êtes-vous arrivé dans le monde diplomatique ? 

Mirko Manzoni : À la base, je n’avais pas prévu de faire carrière dans la diplomatie. J’ai fait un master en économie puis un diplôme d’architecture à l’EPFL. Après je suis parti au Comité international de la Croix-Rouge (CICR). J’étais naïf à l’époque et je ne connaissais pas vraiment le travail de l’organisation. Mais tout est allé très vite et quelques mois plus tard je me suis retrouvé en Iraq. C’est ainsi que ma carrière internationale a commencé. Je conseille toujours aux jeunes intéressés par une carrière diplomatique de commencer par une organisation comme le CICR, ce qui est une très bonne carte de visite pour le concours diplomatique. Là, tu mets les pieds en plein dans la géopolitique en voyant les conséquences pratiques de la politique internationale. Après l’Irak, je suis parti au Congo toujours avec le CICR. Puis, un jour, j’ai reçu un coup de téléphone du DFAE qui me proposait un poste comme chef adjoint du bureau de coopération de la Direction du développement et de la coopération (DDC) au Kosovo. Un mois plus tard, je partais à Pristina. Ensuite, j’ai continué mon parcours à l’UE, au Mali et au Mozambique, où j’ai été nommé ambassadeur en 2014.

Pouvez-vous nous citer une expérience particulièrement intense ?

M.M. : Au Mali, j’ai été nommé directeur du bureau de la DDC. Je m’attendais un séjour tranquille, presque touristique. Mais au moment où je suis arrivé, il y a eu un coup d’Etat engendrant un chaos total. C’était en février 2012 et le début de la descente aux enfers du Mali. Dix jours après mon arrivée, j’ai reçu un appel du Ministre des Affaires Étrangères. Il m’a déclaré qu’il avait sur sa table une lettre me déclarant persona non grata sur le territoire. Venant tout juste d’arriver, je n’avais aucune idée de ce que j’avais bien pu faire pour me retrouver dans une telle situation. Puis, j’ai appris que notre bureau avait organisé des rencontres non-officielles avec les Touaregs en Mauritanie. Compte tenu de l’insurrection des Touaregs dans le nord du Mali, le Ministre nous accusait de soutenir indirectement les Touaregs. Quand il a appris que je venais tout juste d’arriver de Suisse, il s’est abstenu d’envoyer la lettre aux autorités suisses. Ça a été un soulagement.

Le 8 juillet 2019 vous avez été nominé comme envoyé personnel du Secrétaire général des Nations Unies pour le Mozambique, quelle est la mission d’un envoyé personnel ? 

M.M. : Le travail d’envoyé spécial est divers et varié. Mon mandat comprend la mise en œuvre de l’accord de paix et de faciliter le dialogue entre les différents groupes sociaux (en lien avec le désarmement des bases militaires par exemple). J’écoute ce que dit l’un et je transmets le message à l’autre, en filtrant pour faciliter un dialogue constructif. De plus, je les conseille dans leur communication avec la communauté internationale. Et il faut toujours négocier, car le désarmement des soldats nécessite le soutien de tout l’appareil étatique. C’est un travail très intéressant et enrichissant, mais aussi fatigant car comme envoyé personnel, tu n’as pas d’horaires. Finalement, je représente le Secrétaire général et tous les pays membres de l’ONU. C’est donc une grande responsabilité.

Dans quelle mesure le travail pour l’ONU se différencie-t-il du travail pour le DFAE ?

M.M. : La grande différence est le fait qu’en étant ambassadeur tu représentes un seul pays, alors qu’un employé de l’ONU représente toute la communauté internationale. Il y a des aspects positifs et négatifs à cela. D’un côté, tu as beaucoup plus de poids mais tu es aussi beaucoup plus exposé. Les pays suivent de près ce que tu fais et ne sont pas avares avec les critiques. Quand un envoyé personnel fait une conférence de presse, cela finit dans les journaux de 190 pays. On est souvent exposé à la critique et il faut savoir gérer ses émotions.

L’ONU fait l’objet de nombreuses critiques. N’est-elle pas devenue obsolète ?

M.M. : L’ONU est bien loin d’être obsolète même si on ne fait que la critiquer. Pour preuve, dès qu’il y a un problème d’envergure globale, on fait presque toujours appel à l’ONU. Donc il faudrait plutôt investir dans l’ONU pour qu’elle puisse fonctionner d’une manière plus efficace, au lieu de lui tirer dessus et de l’affaiblir.

Quel rôle pour la Suisse au Conseil de sécurité ?

M.M. : Une candidature suisse au Conseil de sécurité fait seulement du sens, si on a le courage d’être critique. Si on y va seulement pour le prestige et pour pouvoir dire qu’on a été membre, il serait mieux qu’on reste à Berne.

Quelles sont les caractéristiques d’un.e bon.ne diplomate ?

M.M. : Premièrement, il faut croire en ce que tu fais et le faire jusqu’au bout. Même si parfois c’est dur. Puis, il faut avoir le courage de défendre tes principes et les intérêts de ton pays à l’externe face aux autres pays, mais aussi à l’interne devant ta hiérarchie. Il faut également être humble dans toutes les situations, même si tu as du succès. Aucun titre ne te donne le droit d’être respecté et encore moins d’être arrogant. Finalement, il faut être un exemple pour ceux que tu gères. Si tu donnes l’exemple, ton équipe te suivra, même dans les décisions difficiles qu’ils ne partagent pas.

 

Photo : Mirko Manzoni